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— Je dirais que c’est la conduite d’un homme faux et bas.

— Eh bien, monsieur Bruff, j’ai cru en cet homme, et j’ai promis de l’épouser. Comment puis-je après cela lui dire qu’il est bas, qu’il m’a trompée ? Comment puis-je le déshonorer aux yeux du monde ? Je me suis dégradée moi-même en songeant à faire de lui mon époux. Si je lui dis en face ce que vous me conseillez de lui dire, ce sera avouer que j’ai commis une triste erreur, et cela m’est impossible après ce qui s’est passé entre nous. Je ne puis en vérité agir ainsi ! Cette honte ne serait rien pour lui, mais l’humiliation serait insupportable pour moi ! »

Elle me dévoilait là encore une des bizarreries de sa nature ; son horreur de ce qui était bas la rendait sourde à toute autre considération, et elle aimait mieux encourir le risque d’un jugement sévère de la part de ses amis que de se placer en face d’une bassesse dont il lui fallait accepter le contact même momentané ! Jusqu’à ce moment, je n’étais pas entièrement rassuré sur la valeur du conseil que je lui avais donné, mais en la voyant entrer dans cette voie, je ne pus qu’insister fortement auprès d’elle pour la prier de se rendre à mon avis.

Elle secoua la tête et répéta son objection en d’autres termes :

« Il est entré assez avant dans mon intimité pour me demander de devenir sa femme, et je l’ai placé assez haut dans mon estime pour lui donner mon consentement. Je ne puis après cela lui jeter à la figure qu’il est un méprisable personnage !

— Mais, ma chère miss Rachel, objectai-je, vous ne pouvez pas non plus vous dégager sans lui donner quelque raison plausible.

— Je lui répondrai qu’après y avoir mûrement réfléchi, je reste convaincue que, pour chacun de nous, il est préférable d’agir ainsi.

— Rien de plus que cela ?

— Non, rien de plus.

— Avez-vous pesé tout ce qu’il pourra dire de son côté ?

— Il dira ce qu’il lui plaira. »

Je ne pouvais qu’admirer sa fermeté et sa délicatesse, et pourtant je sentais qu’elle se mettait dans son tort ; je la