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sens plus que jamais votre obligée. Si vous entendez parler de mon mariage lors de votre retour à Londres, je vous prie de le démentir en mon nom.

— Êtes-vous donc résolue à rompre votre engagement ? demandai-je.

— Pouvez-vous en douter, fit elle avec fierté, après ce que vous venez de m’apprendre !

— Ma chère miss Rachel, vous êtes bien jeune, et vous pouvez rencontrer plus de difficultés que vous ne le prévoyez à sortir de la position actuelle. N’avez-vous pas une amie que vous puissiez consulter ?

— Je n’ai personne, » répondit-elle.

Je fus peiné, bien peiné de l’entendre faire cet aveu. Elle était si jeune et si isolée, et elle supportait si courageusement sa situation ! Dans mon désir de lui être utile, et bien que je me sentisse peu apte à me mêler d’une affaire aussi délicate, je lui fis part des pensées qui me vinrent à l’esprit, telles qu’elles se présentèrent. J’ai eu l’occasion de servir de conseil à un nombre infini de personnes, et dans les circonstances les plus difficiles, mais il ne m’était jamais arrivé de devoir aviser avec une jeune personne au moyen de rompre une promesse de mariage. Je lui suggérai ceci : dire à M. Godfrey Ablewhite, dans une entrevue privée, qu’elle avait connaissance des motifs intéressés dont il s’était inspiré en demandant sa main ; que cette union devenait par suite impossible, et qu’elle lui proposait d’entrer dans ses vues en paraissant rompre d’un commun accord avec elle ; sinon, il la forcerait, en lui faisant opposition, de faire connaître au public les motifs qui la déterminaient. S’il tentait de nier ou d’atténuer les faits, elle n’avait qu’à me l’adresser.

Miss Verinder m’écouta avec attention. Puis elle me remercia gracieusement, tout en me disant qu’elle ne pouvait suivre mon conseil.

« Puis-je vous demander, répondis-je, ce qui vous en empêche ? »

Elle hésita, et enfin me posa à son tour une question :

« Supposez qu’on vous demande d’exprimer votre opinion sur la conduite de M. Godfrey Ablewhite ?

— Oui.

— Comment la qualifieriez-vous ?