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Ils avaient donc tout intérêt à conserver mon patronage. Je comptais les en faire souvenir dans la présente occasion.

Dès mon retour, je racontai à mon clerc ce qui se passait, et l’envoyai chez son frère, avec « les compliments de M. Bruff, qui serait bien aise de savoir pourquoi MM. Skipp et Smalley ont trouvé nécessaire d’examiner le testament de lady Verinder. »

Ce message amena M. Smalley chez moi ; il convint qu’il avait agi d’après les instructions d’un client, puis il me demanda si ce ne serait pas de sa part une violation du secret professionnel que d’en dire davantage. Nous eûmes une discussion serrée à ce sujet ; au fond, il avait raison et j’étais dans mon tort. Mais la vérité est que j’avais mes soupçons, que je me sentais en colère, et que j’insistai pour en savoir plus long. J’allai plus loin, je refusai même de recevoir de plus amples informations à titre confidentiel, et entendis maintenir mon droit d’en user à ma discrétion ; je fis encore pis, car je profitai de la position où ils étaient vis-à-vis de moi pour exercer sur eux une pression que rien ne peut justifier.

« Choisissez, monsieur, dis-je à M. Smalley, entre le risque de perdre la pratique de votre client, ou bien de ne plus avoir la mienne. »

Je conviens que mes procédés sont indéfendables ; je commettais, ni plus ni moins, un acte de tyrannie ; mais comme tant d’autres tyrans, j’arrivai à mes fins ; M. Smalley fit son choix sans hésiter une seconde. Il sourit et se résigna à me livrer le nom de son client : « M. Godfrey Ablewhite. » C’en était assez pour moi, je n’en demandais pas davantage.

L’intelligence de ce qui va suivre n’étant possible qu’à la condition de connaître certaines clauses du testament de lady Verinder, il convient d’en instruire le lecteur.

Je dirai donc en peu de mots que Rachel Verinder n’était qu’usufruitière de la fortune laissée par sa mère. Le bon sens de cette dernière, joint à mon expérience, en avait décidé ainsi, afin de dégager la jeune fille de toute responsabilité, et pour empêcher qu’elle ne devînt dans l’avenir la victime de quelque coureur de dot. Ni elle ni son futur mari ne pouvaient