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Rachel avança d’un pas et me regarda d’un air étrange.

« Je ne comprends pas votre allusion à ma mère, miss Clack ; voulez-vous avoir la bonté de vous expliquer ? »

Je ne pus répondre. M. Bruff s’approcha de Rachel, et lui offrant son bras tenta de l’emmener.

« Vous ferez bien le laisser tomber cette conversation, ma chère, lui dit-il, et miss Clack fera bien de ne pas s’expliquer. »

J’aurais été une bûche ou une pierre que, devant cette ingérence de l’avoué, je n’eusse pu m’empêcher de déclarer la vérité. Je repoussai M. Bruff de la main avec indignation, puis dans un langage solennel approprié à l’importance du sujet, j’établis le point de vue sous lequel la saine doctrine n’hésite pas à envisager l’affreux malheur de mourir sans préparation suffisante.

Rachel s’éloigna brusquement de moi et (je rougis pour elle de l’écrire) poussa un cri d’horreur.

« Emmenez-moi ! dit-elle à M. Bruff, allons-nous-en, pour l’amour de Dieu ! avant que cette femme puisse en dire davantage ! Pensez à la vie honnête, irréprochable, pleine de bonnes actions qu’a menée ma pauvre mère ! Vous étiez à ses funérailles, monsieur Bruff ; vous avez vu combien chacun l’aimait, vous avez vu les malheureux pleurer sur sa tombe leur meilleure amie. Et cette misérable est là, essayant de me faire croire que ma mère, qui fut un ange sur la terre, n’est pas parmi les anges au ciel ! Ne me parlez pas ! je veux m’en aller ! j’étouffe à respirer le même air qu’elle ! je suis effrayée de penser que je suis encore si près d’elle ! »

Sourde à toute remontrance, elle courut vers la porte.

Au même moment, sa femme de chambre entrait. Elle mit précipitamment son châle et son chapeau.

« Emballez mes affaires, dit-elle, et faites-les porter chez M. Bruff. »

J’essayai de m’approcher d’elle. J’étais saisie, affligée ; il est inutile d’ajouter que je ne pouvais être offensée. Je voulais seulement lui dire :

« Puisse votre cœur endurci se fondre ! je vous pardonne sincèrement ! »

Mais elle abaissa son voile, arracha son châle de mes mains et se hâta de gagner la porte qu’elle me ferma au