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La confiance de toute la famille dans cet homme était vraiment ridicule. Sans dire un mot de plus, ma tante quitta la chambre.

« Ah ! dit M. Bruff en la suivant des yeux, le sang des Herncastle a ses inconvénients, je l’admets. Mais après tout c’est quelque chose que d’être de bonne naissance ! »

Ayant fait cette remarque purement mondaine, il jeta un coup d’œil vers mon coin, comme s’il se fût attendu à me voir partir ; l’intérêt que je portais à Rachel, intérêt d’un ordre bien autrement élevé que le sien, me cloua sur ma chaise.

Ici encore, comme autrefois chez ma tante Verinder à Montagu-Square, M. Bruff renonça à me faire déloger ; il mena Rachel à la fenêtre et se mit à causer avec elle.

« Ma chère Rachel, lui dit-il, la conduite de M. Ablewhite vous a naturellement choquée et surprise. Si ce n’était pas perdre son temps que de discuter avec un pareil homme, nous pourrions aisément le mettre dans son tort ; mais cela n’en vaut pas la peine. Vous aviez parfaitement raison lorsque vous le disiez tout à l’heure. »

Il s’arrêta et regarda encore de mon côté ; je me tenais immobile, mes traités à portée de la main, et miss Jane Ann Stamper posée sur mes genoux.

« Vous savez, reprit-il, que la nature généreuse de votre excellente mère la portait à toujours voir les gens par leurs bons côtés plutôt que par leurs défauts. Elle nomma son beau-frère votre tuteur parce qu’elle avait confiance en lui, et dans le but d’être agréable à sa sœur. Personnellement, je n’ai jamais aimé M. Ablewhite, et j’ai réussi à faire mettre dans le testament une clause donnant à ses exécuteurs le pouvoir, en certains cas, de s’entendre avec moi, pour nommer un autre tuteur. L’occasion s’en présente aujourd’hui ; j’espère mettre fin à cette pénible besogne et je me suis chargé près de vous d’un message de la part de ma femme. Voulez-vous bien faire à Mrs Bruff l’honneur de devenir notre hôte, et en demeurant sous notre toit, d’y vivre comme un membre de la famille, jusqu’à ce que les têtes sages se soient consultées et aient décidé ce qu’il convient de faire ? »

À ces mots, je me levai pour intervenir. M. Bruff justifiait