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manne dans le désert, la rosée sur une terre desséchée, des paroles de consolation, de sagesse, d’amour, les paroles mille fois bénies de miss Jane Ann Stamper ! »

Je ne fus arrêtée que par l’absence momentanée de souffle. Avant que j’eusse pu reprendre haleine, ce monstre à face humaine hurla avec rage :

« Que miss Jane Ann Stamper aille au… »

Il m’est impossible d’écrire ce mot impie, que je remplace par des points. Je jetai les hauts cris en l’entendant, je courus à mon petit sac posé sur une table ; je saisis tous les traités, et trouvai celui sur les jurements impies, intitulé : Taisez-vous, pour l’amour de Dieu ! Je le lui tendis avec l’expression de la plus instante supplication ; il le déchira en mille pièces, et me le lança à travers la table ; tout le monde se leva, rempli d’effroi et ne sachant ce qui allait s’ensuivre. Moi je me rassis dans mon coin. Miss Jane Ann Stamper, dans une circonstance à peu près semblable, avait été saisie par les épaules et jetée à la porte. Je m’inspirai de son esprit pour affronter le même martyre.

Mais non, il n’en devait pas être ainsi. Sa femme fut la première à laquelle il s’adressa.

« Qui, qui, dit-il en bégayant de colère, a introduit cette impudente fanatique dans ma maison ? est-ce vous ? »

Avant que ma tante eût pu placer un mot, Rachel répondit pour elle :

« Miss Clack est ici invitée par moi. »

Ces mots firent une singulière impression sur M. Ablewhite. À sa rage succéda tout à coup un dédain glacial.

Il fut clair pour chacun que, quelque nette et courte qu’eût été la réponse de Rachel, elle donnait enfin à ce vilain homme l’avantage sur elle.

« Oh ! dit-il, miss Clack est votre hôte et dans ma maison ? »

Ce fut au tour de Rachel de perdre patience. Elle rougit, et ses yeux devinrent de feu. Elle se retourna vers l’avoué, et désignant M. Ablewhite, demanda avec hauteur :

« Qu’entend-il par là ? »

M. Bruff intervint de nouveau.

« Vous paraissez oublier, dit-il à M. Ablewhite, que cette maison a été louée par vous, comme tuteur de miss Verinder, pour son usage particulier.