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— Cet individu était-il gris la nuit dernière ? demanda le sergent.

— Nullement, monsieur ; je ne lui aurais pas donné une chambre dans ma maison.

— A-t-il payé son logement d’avance ?

— Non.

— Pouvait-il quitter sa chambre sans passer par la porte ?

— La pièce est dans les combles, dit l’aubergiste. Mais dans le plafond est pratiquée une trappe qui conduit sur le toit ; puis un peu plus loin dans la rue, il y a une maison vide en réparation. Pensez-vous, sergent, que le drôle ait pu sortir par là afin d’éviter de me payer ?

— Un marin, répondit le sergent, peut aisément avoir fait cette ascension, le matin de bonne heure, pendant que la rue était encore déserte ; ces hommes-là sont habitués à grimper et ils n’ont pas le vertige sur un toit de maison. »

Tandis qu’il parlait, on annonça le serrurier. Nous montâmes tous à l’étage supérieur. J’observai que le sergent restait plus grave et plus silencieux encore que de coutume ; je trouvai étrange aussi qu’après avoir engagé Groseille tout d’abord à nous suivre, il lui enjoignît d’aller attendre en bas jusqu’à notre retour.

Le serrurier força la porte au bout de quelques minutes ; mais un meuble, placé à l’intérieur, formait une barricade, que nous dûmes renverser en poussant la porte. L’aubergiste entra le premier, le sergent et moi le suivîmes avec les autres assistants.

Nous regardâmes tous vers le lit, et tressaillîmes d’effroi. L’homme n’avait pas quitté la pièce. Il était tout habillé sur son lit, sa figure enfoncée sous un oreiller blanc restait ainsi cachée à nos yeux.

« Que signifie cela ? » dit, en montrant l’oreiller, le maître de la maison.

Le sergent Cuff se dirigea vers le lit sans répondre et enleva l’oreiller.

Le visage basané de l’homme apparut tranquille et placide ; à peine avait-il la barbe et les cheveux un peu en désordre ; mais les yeux, tout grands ouverts, étaient tournés avec un regard vitreux vers le plafond. Leur expression morne et fixe me glaça d’horreur.