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fort bizarres était venu montrer ma carte et mon message, avait attendu une heure, s’était endormi, puis réveillé, avait écrit ce mot pour moi, et était reparti après avoir gravement prévenu mon domestique qu’ « il n’était bon à rien s’il n’avait pas sa nuit de repos. »

Le lendemain matin, à neuf heures, j’attendais mon petit visiteur ; à neuf heures et demie, j’entendis marcher sur mon palier.

« Entrez, Groseille ! criai-je.

— Merci, monsieur, » répondit une voix grave et mélancolique.

La porte s’ouvrit ; je fis un soubresaut : je me trouvais face à face avec… le sergent Cuff !

« Monsieur Blake dit le sergent, avant d’écrire en Yorkshire, j’ai voulu savoir si par hasard vous n’étiez pas en ville. »

Il était aussi long et morne que jamais ; ses yeux n’avaient pas perdu leur ancien tic, si finement dénoncé dans la narration de Betteredge, de regarder « comme s’ils attendaient plus de vous que vous ne vous en doutiez vous-même. » Toutefois, autant que les vêtements peuvent changer un individu, le célèbre Cuff était un homme nouveau, presque méconnaissable. Il portait un chapeau blanc à larges bords, une jaquette de chasse, des guêtres et un pantalon blanc ; il tenait en plus un gros bâton à la main. Toute son ambition était évidemment de paraître un campagnard invétéré. Lorsque je le complimentai sur sa métamorphose, il n’y voulut pas voir une plaisanterie. Il se plaignit très-sérieusement des bruits et de l’odeur de la ville ; je crois même que son accent était devenu légèrement rustique ! Je l’invitai à déjeuner ; mais l’homme des champs se montra choqué. Il déjeunait, lui, à six heures et demie du matin, et il se couchait avec les coqs et les poules !

« Je ne suis revenu qu’hier soir d’Irlande, dit le sergent, abordant avec son air impénétrable l’objet pratique de sa visite ; avant de me coucher j’ai lu la lettre où vous me racontiez tout ce qui s’est passé au sujet du diamant, depuis notre enquête de l’année dernière. Il ne me reste qu’une chose à dire : c’est que de mon côté j’ai fait complètement fausse route dans l’affaire. Je ne sais pas si un autre homme, placé dans le milieu où j’étais, y eût vu plus clair que moi ;