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tant que M. Blake paraît ainsi livré à ses réflexions, il reste de l’espoir ; nous attendons avec une cruelle angoisse ce qui va se passer.

Son premier mouvement est décisif ; il laisse échapper de ses mains le faux diamant, qui glisse sur le parquet et reste devant la porte, bien visible à ses yeux et à ceux de chacun de nous. M. Blake ne fait aucune tentative pour le ramasser, le regarde vaguement, et, pendant ce temps, sa tête s’affaisse sur sa poitrine. Il chancelle, se ranime encore par un effort violent, marche vers le canapé et s’y assied.

Il essaye encore de se relever, mais ses jambes refusent de le soutenir, et sa tête retombe sur les coussins du canapé. Il est alors une heure vingt-cinq minutes. Je n’ai pas remis ma montre dans mon gousset que, déjà, il est endormi.

Tout est fini ; l’influence narcotique a pris le dessus, et l’expérience est à son terme.

J’entre dans la pièce, et je dis à M. Bruff et à Betteredge qu’ils peuvent me suivre ; il n’y avait plus à craindre de le déranger ; nous étions libres de parler et d’agir.

« La première chose à régler, dis-je, est de savoir ce que nous allons faire de M. Blake ; il dormira au moins six ou sept heures, et, pour le porter dans sa chambre, la distance est encore assez grande. Lorsque j’étais plus jeune, je m’en fusse bien chargé, mais ma santé et mes forces ont tant décliné, que je crains de devoir vous prier de m’aider. »

Avant qu’ils aient pu répondre, miss Verinder m’appelle à voix basse ; elle me rejoint à la porte de sa chambre : je vois sur son bras un châle et un couvre-pieds.

« Comptez-vous le veiller pendant son sommeil ? dit-elle.

— Oui, je ne connais pas assez l’effet de l’opium sur son tempérament pour consentir à le laisser seul. »

Elle me tend le châle et le couvre-pieds.

« Pourquoi le déranger ? dit-elle tout bas. Faites-lui son lit sur le sofa ; je fermerai ma porte, et je resterai dans ma chambre. »

Certes, c’est là l’arrangement le plus simple et le meilleur. Je transmets la proposition à mes deux compagnons, qui y donnent leur assentiment. Au bout de cinq minutes, j’ai couché M. Blake sur le canapé ; le châle et le couvre-pieds le protégeront contre le froid de la nuit. Miss Verinder nous