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où depuis lors, il demeurait plongé dans ses paperasses.

Je pense à Mrs Merridew avec sa broderie, à Betteredge avec sa conscience, à M. Bruff muni de sa sacoche, et je trouve que les côtés épais du caractère anglais ont tous de singulières analogies, comme aussi l’expression massive des visages anglais établit une similitude frappante entre toutes les figures britanniques.

« Quand allez-vous m’administrer ce laudanum ? me demande impatiemment M. Blake.

— Il faut que vous attendiez encore un peu, dis-je ; je vais rester et vous tenir compagnie jusqu’à ce que le moment soit venu. »

Il n’était alors pas dix heures. Les informations qui m’avaient été fournies à diverses reprises par M. Blake et par Betteredge, me faisaient croire que M. Candy n’avait pu donner le laudanum avant onze heures. Je suis donc résolu à m’en tenir à la même heure pour verser la drogue. Nous causons un peu, mais tous deux nous sommes préoccupés de l’épreuve qui approche ; la conversation languit, puis tombe. M. Blake feuillette d’un air distrait des livres, dont j’ai eu la précaution de parcourir les titres, lorsque nous sommes entrés dans la chambre. C’est le Gardien, le Babillard, Paméla de Richardson, l’Homme de sentiment de Mackenzie, Laurent de Médicis de Roscoe et Charles Quint de Robertson, tous ouvrages classiques, infiniment supérieurs, bien entendu, à toutes les productions modernes, et (s’il m’est permis d’exprimer mon opinion personnelle) possédant tous l’avantage de ne monter la tête à personne. Je laisse donc M. Blake subir l’influence calmante d’une littérature d’élite, et je m’occupe à consigner dans mon journal ces quelques lignes.

Ma montre marque près de onze heures ; je m’arrête ici…

Deux heures du matin. — L’expérience a eu lieu. Je vais dire quels en ont été les résultats.

À onze heures, j’ai sonné Betteredge, et j’ai dit à M. Blake qu’il pouvait enfin se préparer à se coucher.

J’ai regardé par la fenêtre quel temps il faisait ; la nuit était douce et pluvieuse, semblable en cela à celle du jour de naissance, le 21 juin de l’année dernière. Sans avoir une foi absolue dans les présages, il était au moins encourageant de