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« Vous tombez sur un fagot d’épines, monsieur Jennings ! et son nom est : Bruff. »

Il fallait maintenant affronter l’entrevue avec ces dames ; j’ai descendu l’escalier (non sans quelque agitation, j’en conviens) pour me rendre au petit salon de miss Verinder.

La femme du jardinier, chargée du service particulier des chambres, m’a rencontré dans le corridor ; cette bonne femme me traite toujours avec une telle politesse, qu’on y voit la conséquence d’une terreur profonde. Elle me regarde fixement, tremble, et me fait la révérence toutes les fois que je lui parle. Quand j’ai demandé à voir miss Verinder, elle s’est donc mise à me regarder fixement, à trembler, à saluer et elle m’eût resalué encore si miss Verinder n’avait coupé court à la cérémonie en ouvrant tout à coup la porte de son salon.

« Vous êtes M. Jennings ? » m’a-t-elle demandé.

Avant que je pusse répondre, elle est entrée vivement dans le corridor, et nous nous sommes rencontrés sous la lumière du quinquet. À ma vue, miss Verinder s’est arrêtée comme hésitante, mais elle s’est remise aussitôt, a rougi un instant, puis avec une franchise charmante m’a offert la main.

« Je ne pourrais vous traiter en étranger, monsieur Jennings, m’a-t-elle dit. Oh ! si vous saviez le bonheur que m’ont apporté vos lettres ! »

Elle a levé les yeux vers ma vilaine vieille figure avec une aimable reconnaissance, dont l’expression était si nouvelle pour moi, que je n’ai su vraiment comment lui répondre.

Je n’étais pas préparé à me trouver en présence de tant de beauté et de grâce ; Dieu merci ! de longues années de misère n’ont pu endurcir mon cœur, et je me suis senti devant elle aussi gauche et aussi timide qu’un enfant.

« Où est-il maintenant ? a-t-elle demandé sans essayer de cacher l’intérêt qu’elle portait à M. Blake. Que fait-il ? A-t-il parlé de moi ? Son énergie se soutient-elle ? Comment supporte-t-il la vue de cette maison avec les souvenirs qu’elle lui rappelle ? Quand lui ferez-vous prendre l’opium ? Pourrai-je vous aider à le verser ? J’y suis intéressée, et j’éprouve une telle agitation ! J’aurais mille choses à vous dire, mais elles se confondent toutes dans ma tête, si bien que je ne sais