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ment dont la Providence se servit pour ménager une rencontre entre Rachel et moi.

Ma tante Ablewhite est une femme grasse, fraîche et toujours silencieuse, mais son caractère offre une particularité remarquable. Depuis l’heure de sa naissance, personne ne pouvait se vanter de l’avoir vue faire quoi que ce soit par elle-même ; elle traversait la vie en acceptant l’aide de tout le monde et l’opinion de chacun. Je n’ai jamais rencontré une personne plus désespérante au point de vue spirituel. Il est d’autant plus difficile d’agir sur son esprit, qu’on ne trouve en elle aucune résistance. La tante Ablewhite écouterait aussi bien le grand Lama qu’elle m’écoute moi, et elle se ferait le reflet de quelque opinion que ce pût être. Son procédé pour chercher une maison garnie à Brighton consista à s’arrêter dans un hôtel de Londres, à se reposer sur un canapé et à faire demander son fils. Comment s’y prit-elle pour se procurer les domestiques indispensables ? Elle déjeuna tranquillement dans son lit (toujours à l’hôtel) et donna campo à sa femme de chambre, à condition que cette fille commencerait par aller chercher miss Clack.

Je la trouvai en robe de chambre, s’éventant, et cela à onze heures du matin.

« Drusilla, ma chère, me dit-elle, j’ai besoin de quelques domestiques ; vous qui êtes si habile, tâchez donc de me les trouver. »

Je parcourus des yeux cette chambre en désordre ; les cloches sonnaient alors aux églises pour un service de semaine ; elles m’inspirèrent un mot d’affectueuse remontrance.

« Oh ! tante, m’écriai-je tristement, est-ce là une conduite digne d’une Anglaise et d’une chrétienne ? Notre passage de la vie à l’éternité doit-il s’accomplir ainsi ? »

Ma tante me répondit :

« Je vais passer ma robe, Drusilla, si vous avez l’obligeance de m’aider. »

Que dire après cela ! J’ai fait des merveilles auprès de femmes coupables de meurtre, je n’ai jamais pu avancer d’une ligne avec ma tante Ablewhite.

« Où est la liste des domestiques qu’il vous faut ? » demandai-je.