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« Vous n’avez pas besoin de me raconter ce qui s’est passé, m’a-t-il dit ; Betteredge a joué son va-tout ; il a fait une nouvelle découverte prophétique dans son livre favori ; avez-vous au moins flatté sa manie la plus chère ? non ? vous lui avez laissé voir que vous n’aviez pas foi en Robinson Crusoé ? Monsieur Jennings, vous êtes tombé au plus bas dans l’opinion de Betteredge. Dites ce que vous voudrez, agissez comme vous l’entendrez, à l’avenir ; vous verrez qu’il ne perdra plus une parole pour vous !

21 juin. — Pour aujourd’hui, je dois me borner à une courte note sur mon journal. M. Blake a passé la nuit la plus mauvaise qu’il ait encore eue. À mon grand regret, j’ai été forcé de lui faire une ordonnance. Ces tempéraments impressionnables sont, par bonheur, les plus accessibles à l’influence des remèdes ; sinon, je craindrais qu’au jour donné il fût hors d’état de supporter l’épreuve projetée.

Quant à moi, après deux jours de répit, j’ai souffert ce matin d’une attaque si rude que j’ai dû prendre la plus haute dose d’opium, c’est-à-dire cinq cents gouttes.

22 juin. — Les choses prennent une meilleure tournure aujourd’hui. M. Blake a été moins éprouvé par ses souffrances nerveuses et a pu dormir un peu cette nuit. Moi, ma drogue m’a produit l’effet d’un coup d’assommoir ; je ne dirai pas que je me suis réveillé ce matin, j’ai repris connaissance.

Nous avons été en voiture jusqu’à la maison ; tout sera prêt demain samedi. Comme M. Blake m’en avait prévenu, Betteredge n’a plus soulevé la moindre objection ; silencieusement poli, il se renferme dans un mutisme gros de pensées. Mon entreprise médicale, selon l’expression de Betteredge, est fixée à lundi ; car les ouvriers n’auront achevé leur travail que demain soir, et, avec l’observation tyrannique du repos dominical qui est un des bienfaits de ce libre pays, les heures de trains sont établies de telle sorte que personne ne pourrait nous arriver de Londres dimanche.

Il ne reste donc, jusqu’à lundi, qu’à bien soigner M. Blake, et à le maintenir, s’il est possible, dans l’état où il est aujourd’hui.

Je l’ai décidé à écrire à M. Bruff en faisant à celui-ci un devoir de nous assister comme témoin. Je tiens d’autant plus à la présence de l’avoué, qu’il s’est déclaré notre antago-