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invitée aux funérailles ainsi que les autres membres de la famille ; mais avec mes opinions religieuses, il m’était impossible de me remettre aussi promptement du coup que m’avait porté cette mort. On m’apprit que le recteur de Frizinghall devait lire le service ; comme j’avais vu mainte fois cet ecclésiastique, indigne de ce nom, faire le quatrième au whist de lady Verinder, je doute que ma conscience m’eût permis d’assister à la cérémonie, lors même que j’eusse été en état de voyager.

La mort de lady Verinder plaça sa fille sous la protection de son beau-frère, M. Ablewhite père. Il était nommé tuteur, par le testament, jusqu’au mariage de sa nièce ou jusqu’à sa majorité. Cela étant, M. Godfrey dut instruire son père de la position nouvelle où il se trouvait par rapport à Rachel. En tout cas, dix jours après la mort de ma tante, le secret de la promesse de mariage n’en était plus un pour toute la famille, et la grande question pour M. Ablewhite père (autre infidèle endurci !) n’était plus que de savoir comment rendre sa personne et son autorité agréables à la riche héritière qui devait épouser son fils.

Rachel lui causa quelque embarras au début, lorsqu’il s’agit de la décider à choisir une résidence à sa convenance. La maison de Montagu-Square, où sa mère était morte, ne lui offrait que des souvenirs douloureux. La demeure du Yorkshire lui rappelait la triste affaire de la Pierre de Lune. L’habitation de son tuteur à Frizinghall n’offrait aucun de ces inconvénients, mais la présence de Rachel en deuil eût coupé court aux gaietés bruyantes des misses Ablewhite, et leur cousine demanda d’elle-même à remettre sa visite à un temps plus opportun. Enfin le vieux M. Ablewhite leva toutes les difficultés en proposant de prendre une maison à Brighton. Sa femme, une de leurs filles infirme et Rachel pourraient s’y réunir, et ne rejoindre le reste de la famille qu’à la fin de l’automne. Elles ne verraient là que quelques vieux amis, et M. Godfrey pourrait aller et venir de Londres, et se trouver toujours à leur disposition.

Si je décris cette stérile ardeur de déplacement, cette perpétuelle agitation du corps et cette effrayante torpeur de l’âme, c’est afin d’en faire mieux ressortir les funestes conséquences. La location de la maison de Brighton fut l’événe-