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danum ! Et, sur ma foi ! on me destine dans ma vieillesse à être le compère d’un sorcier ! »

M. Blake est parti d’un éclat de rire. J’ai essayé de placer un mot, mais Betteredge a élevé la main, faisant signe qu’il n’avait pas fini de parler.

« Pas un mot, monsieur Jennings ! a-t-il dit. Je ne veux pas entendre un seul mot de votre part, monsieur ; j’ai des principes, grâce à Dieu ! Si on m’envoie un ordre comme je pourrais en recevoir de Bedlam, je ne m’en inquiète pas ; tant qu’il émanera du maître ou de la maîtresse que je sers, j’y obéirai. Mais je puis conserver mon opinion, qui est aussi, souvenez-vous-en, celle de M. Bruff, du fameux M. Bruff ! a insisté Betteredge, accentuant le nom avec solennité et m’adressant un regard plein de reproches ; enfin je laisse de côté mon opinion, quoiqu’elle soit corroborée par une telle autorité ; puisque ma jeune maîtresse dit : « Faites cela, » je le fais ; et me voici avec mon agenda et un crayon tout à votre disposition ; le crayon par exemple est mal taillé, mais lorsque les chrétiens perdent tout sens commun, on ne peut reprocher à un crayon d’être plus ou moins aiguisé ! Donnez-moi vos ordres, monsieur Jennings, je suis prêt à les inscrire, mais je ne veux pas avoir la responsabilité de l’épaisseur d’un cheveu en plus ou moins. Je suis un automate, monsieur… un automate, rien de plus ! a répété Betteredge, qui trouvait grand plaisir à se définir ainsi lui-même.

— Je regrette beaucoup, ai-je répondu, que mes vues ne soient point agréées de vous…

— Ne me mêlez pas à ces jongleries ! a interrompu Betteredge ; ce n’est pas une affaire d’agrément pour moi, mais uniquement d’obéissance. J’attends vos ordres, monsieur, j’attends vos ordres ! »

M. Blake m’a fait signe de le prendre au mot. J’ai donc redonné « mes ordres » aussi sérieusement et aussi simplement que je l’ai pu.

« Je désire, ai-je dit, que certaines parties de la maison soient rouvertes et remeublées exactement comme elles l’étaient il y a un an. »

Là-dessus Betteredge a donné à son crayon un petit coup de langue en guise de préparation. Puis, majestueusement :