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l’exercice au grand air ; il ne doit pas se porter trop bien et il ne faut pas non plus l’affaiblir outre mesure ; c’est une affaire où, comme disent nos marins, il s’agit de louvoyer. M. Blake n’a rien reçu de M. Bruff ; il attendait avec une anxiété visible des nouvelles de miss Verinder.

Je lui ai dit exactement ce qu’on m’a autorisé à lui transmettre, je n’ai pas eu à chercher d’excuses pour ne point lui montrer la lettre ; le pauvre garçon m’a répondu avec assez d’amertume qu’il comprenait la délicatesse qui me dictait ma réserve.

« Elle consent, naturellement, mais comme une personne qui agit par un sentiment de justice et de convenance ; néanmoins, a-t-il ajouté, elle garde son opinion sur moi et ne se rendra qu’à l’évidence des faits. »

J’ai été grandement tenté de lui dire qu’il se trompait à son tour sur elle, comme elle s’était trompée sur lui. Réflexion faite, je n’ai rien voulu enlever à miss Verinder de la joie qu’elle aurait à le surprendre et à se réconcilier avec lui.

J’ai dû abréger beaucoup ma visite. Pour m’épargner les affreuses visions de la nuit dernière, j’avais renoncé à ma dose d’opium.

L’inévitable conséquence a été un retour terrible du mal qui me dévore ; j’ai senti l’approche de l’accès, et j’ai quitté brusquement M. Blake, afin de ne pas lui donner le pénible spectacle de mes souffrances. L’attaque n’a duré qu’un quart d’heure, et mes forces m’ont permis de reprendre mes occupations.

Cinq heures. — J’ai répondu à miss Verinder. La combinaison que je lui propose concilie tout, si elle y consent. Après lui avoir exposé le danger d’une rencontre entre elle et M. Blake, je lui conseille d’arriver secrètement à sa maison de campagne, en s’arrangeant de façon à nous rejoindre le soir même de notre expérience. Elle peut prendre le train de l’après-midi à Londres et être ici pour neuf heures. Je ferai en sorte que M. Blake ne quitte plus sa chambre à coucher à partir de ce moment, et rien ne s’opposera alors à ce que miss Verinder occupe ses appartements particuliers jusqu’à l’heure de l’absorption du laudanum ; elle pourra suivre les phases de l’expérience avec nous ; le lendemain