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qu’il s’absentait, pour aller passer quinze jours chez un ami dans un des comtés du sud. Le pauvre homme m’a accablé d’autant de recommandations pour ses malades que si sa clientèle était encore aussi étendue qu’avant sa maladie. Elle est pourtant bien réduite actuellement ; d’autres docteurs ont pendant ce temps remplacé M. Candy, et ceux-là seuls qui ne peuvent faire autrement m’emploient, moi !

Son absence tombe fort à propos ; il eût été vexé que je ne le tinsse pas au courant de l’expérience que je vais tenter sur M. Blake, et si je l’avais mis dans ma confidence, je ne sais quels inconvénients ne s’en fussent pas suivis. Tout est donc pour le mieux ainsi sans aucun doute.

La poste m’apporte la réponse de miss Verinder. Sa lettre est charmante et me donne une haute opinion d’elle. Elle n’essaye pas de déguiser l’intérêt qu’elle prend à notre tentative. Elle me dit de la façon la plus aimable que ma lettre justifie entièrement M. Blake à ses yeux, et que pour elle sa conviction est faite sans qu’il soit besoin de mettre mon affirmation à l’épreuve. Elle se reproche même, bien à tort, la pauvre enfant ! de n’avoir pas su deviner plus tôt le nœud de l’énigme. Il ressort clairement de sa lettre que son ardeur à rendre justice à un innocent procède d’un intérêt plus vif que celui qu’on attache à faire amende honorable d’un tort involontaire ! Évidemment elle n’a jamais cessé de l’aimer, nonobstant la rupture survenue entre eux. Dans plus d’un passage de sa lettre, la joie de le savoir digne de son amour éclate innocemment, malgré les conventions du langage et la retenue d’une correspondance adressée à un étranger. N’est-il pas singulier, me disais-je en lisant cette délicieuse lettre, que le sort m’ait choisi de préférence à tout autre pour servir de lien entre ces deux jeunes cœurs ? Mon bonheur personnel a été foulé aux pieds, l’amour de toute ma vie m’a été arraché ! Vivrai-je assez pour voir quelqu’un en possession d’un bonheur qu’il me devra ? pour assister à la réconciliation de deux amants que j’aurai rapprochés ? Ô mort miséricordieuse ! laisse-moi jouir de ce spectacle avant que tes bras m’étreignent, avant que la voix murmure à mon oreille le mot de l’éternel repos !

Miss Verinder me demande deux choses. Elle me prie d’abord de ne point montrer sa lettre à M. Franklin Blake. Je