Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/174

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vais qu’il avait une foule d’amis à Frizinghall, et qu’il ne serait pas embarrassé de se distraire jusqu’à mon retour à l’hôtel.

Cela fait, je me dirigeai vers les environs les moins fréquentés de la ville et m’y promenai jusqu’à ce que ma montre m’avertît qu’il était temps de me rendre à la maison de M. Candy. J’y trouvai Ezra Jennings qui m’attendait.

Il était assis seul dans une petite chambre, toute nue, qui communiquait par une porte vitrée avec un cabinet de chirurgie. De hideux dessins coloriés représentant d’affreuses maladies ornaient seuls les murs peints en jaune. Une bibliothèque remplie de bouquins de médecine, et au sommet de laquelle la place d’ordinaire réservée à un buste était occupée par une tête de mort, une grande table en sapin barbouillée d’encre, des chaises en bois comme on en voit dans les auberges, un tapis râpé au milieu de la chambre, enfin une fontaine à cuvette appliquée au mur et dont la vue peu récréative rappelait à l’esprit les opérations chirurgicales, tel était le mobilier de cette triste salle. Les abeilles bourdonnaient parmi quelques pots de fleurs placés sur la fenêtre, les oiseaux chantaient dans le jardin, et le tapotement d’un piano du voisinage mêlait son bruit à ces sons divers ; partout ailleurs, l’écho joyeux de la vie extérieure eût été le bienvenu, mais ici il semblait déplacé, au milieu de ce silence que la souffrance humaine avait seule le droit de troubler. En apercevant sur un rayon de la bibliothèque une trousse et un paquet de charpie, je ne pus m’empêcher de frémir, car je songeai au genre de sons que devait entendre habituellement la chambre d’Ezra Jennings.

« Je ne vous ferai pas d’excuses, monsieur Blake, me dit-il, sur le lieu où je vous reçois. C’est la seule pièce où, à cette heure de la journée, nous soyons sûrs de n’être pas dérangés. Voici mes papiers tout prêts, et deux livres auxquels nous pourrons avoir recours avant la fin de notre conférence. Rapprochez votre chaise de la table, et nous nous mettrons à l’ouvrage ensemble. »

Je m’avançai, et Ezra Jennings me tendit ses notes manuscrites ; elles se composaient de deux feuilles de papier in-folio : l’une n’était recouverte d’écriture qu’à intervalles inégaux ; l’autre était remplie d’un bout à l’autre, et les ca-