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je fus agréé : je pouvais y rencontrer le repos, je pensais avoir enfin trouvé l’oubli ; je me trompais : il n’y a point de distance qui mette à l’abri des bruits malveillants. L’accusation qui m’avait chassé de ma première résidence me poursuivit dans ma retraite. Prévenu à temps, je pus quitter ma place avant qu’on me congédiât et emporter les certificats que j’avais mérités. Ils m’aidèrent à trouver un emploi analogue dans un comté éloigné ; mais la calomnie qui tuait ma réputation sut encore m’y découvrir. Cette fois, je n’avais pas reçu d’avertissement. Mon patron me dit : « Monsieur Jennings, je n’ai aucun reproche à vous faire, mais il est indispensable que vous vous justifiiez ou que nous nous séparions. » Je n’avais pas le choix, je le quittai. Je ne veux pas m’étendre sur ce que je souffris dès lors ; je n’ai que quarante ans : considérez mon visage, il vous dira quelle existence de misère j’ai menée pendant plusieurs années. Enfin, un jour que j’errais dans ces environs, je rencontrai M. Candy. Il avait besoin d’un assistant, je m’offris et je l’adressai, pour justifier de ma capacité, à mon dernier patron. Restait la question de moralité ; je lui dis ce que je viens de vous apprendre, et plus. Je le prévins même que, s’il m’accordait sa confiance, ma présence lui susciterait des difficultés. « Ici comme ailleurs, lui dis-je, je dédaigne l’expédient coupable qui consiste à dissimuler sa personnalité sous un nom d’emprunt ; pas plus à Frizinghall qu’ailleurs, je ne suis à l’abri de la calomnie empoisonnée qui me poursuit. » Il me répondit : « Je ne fais rien à moitié ; je vous crois et vous plains sincèrement. Si vous voulez en courir le risque, j’en accepte ma part. » Que le Dieu tout-puissant le bénisse ! Il m’a donné un abri, de l’occupation ; j’ai trouvé chez lui le repos de l’esprit, et je sais depuis quelques mois qu’il ne surviendra rien maintenant qui lui cause des soucis.

— La calomnie s’est éteinte ? lui demandai-je.

— Elle est plus active que jamais ; mais lorsqu’elle viendra me relancer ici, elle y arrivera trop tard.

— Vous aurez quitté le pays ?

— Non, monsieur Blake ; je serai mort. Depuis dix ans, je porte en moi une maladie incurable ; je ne vous cache pas que, loin de lutter contre elle, il y a longtemps que je l’au-