Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/167

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bruns et veloutés se reposèrent sur moi avec une expression d’intérêt mélancolique. Il me salua et, sans ajouter un mot, continua sa route vers le village.

Je le suivis des yeux pendant quelques instants, je le vis s’éloigner de plus en plus de moi et emporter avec lui ce que je croyais fermement être le nœud de ma destinée. Il se retourna au bout de quelques pas et regarda en arrière. Me voyant fixé à la même place où nous nous étions séparés, il s’arrêta comme s’il eût pensé que peut-être je désirais lui parler de nouveau. Le temps me manquait pour bien raisonner sur ma situation, je n’eus pas le loisir de songer que si je laissais échapper cette occasion décisive dans ma vie, ce ne serait que pour sauvegarder un amour-propre exagéré ; je n’eus que le temps de le rappeler d’abord, et de penser ensuite. Je me soupçonne d’être un des hommes les plus inconsidérés qui existent ; je le rappelai, puis je me dis :

« Maintenant le sort en est jeté ; il ne reste qu’à lui avouer la vérité ! »

Il revint immédiatement sur ses pas, et j’allai au-devant de lui.

« Monsieur Jennings, lui dis-je, je n’en ai pas usé avec vous d’une manière assez franche. Ce n’est pas seulement parce que je cherche à retrouver la Pierre de Lune, que je tiens à faire appel aux souvenirs de M. Candy. J’ai un immense intérêt personnel en jeu ; et je ne puis vous offrir qu’une excuse pour n’avoir pas été complètement sincère dans mon récit ; il m’est plus pénible que je ne saurais le dire de m’ouvrir avec qui que ce soit sur ce sujet. »

Pour la première fois Ezra Jennings me considéra d’un air embarrassé.

« Je n’ai ni le droit ni le désir, monsieur Blake, de m’immiscer dans vos affaires privées. Permettez-moi, de mon côté, de vous demander pardon pour vous avoir, bien qu’indirectement, mis à une semblable épreuve.

— Vous avez parfaitement le droit, répondis-je, de fixer les conditions auxquelles vous entendez me révéler les paroles recueillies par vous au chevet de M. Candy. Je comprends et je respecte les motifs qui vous dirigent ; d’ailleurs, comment puis-je exiger votre confiance si je ne vous accorde pas la mienne sans réserve ? Vous saurez quel intérêt