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sieur Blake, de bien amener ce qu’il me reste à vous dire. Vous voyez d’ici quelle était ma position vis-à-vis de M. Candy, et vous comprendrez le besoin que j’éprouvais d’alléger parfois mon esprit de ses lourdes préoccupations. J’ai eu la présomption d’employer mes loisirs depuis quelques années à écrire un ouvrage destiné à mes confrères, et traitant d’un sujet compliqué et délicat : le cerveau et le système nerveux. Mon ouvrage ne sera sans doute jamais achevé, et encore moins publié. Il n’en a pas moins été le compagnon de bien des heures de solitude ; ce travail m’a aidé à traverser les jours difficiles de la maladie de M. Candy. Je vous ai parlé, je crois, de son délire et du moment où cette phase de la maladie se déclara ?

— Oui.

— J’étais arrivé alors à la partie de mon livre qui touchait à cette même question du délire ; je ne vous fatiguerai pas de mes théories à ce sujet, je me bornerai à vous parler de ce qui nous intéresse ici. Durant le cours de ma pratique médicale, je m’étais souvent demandé si, dans les cas de délire, l’absence de suite dans le langage implique nécessairement le manque de liaison dans les idées. L’état du pauvre docteur me donna l’occasion de fixer mes doutes à cet égard. J’ai appris à sténographier, et je pus ainsi recueillir de la façon la plus exacte toutes les divagations du malade. Voyez-vous enfin, monsieur Blake, où je veux en venir ? »

Je l’apercevais bien, et j’attendais impatiemment la suite du récit.

« Dans mes moments de loisir, reprit Jennings, je mettais au net mes notes sténographiques, les traduisant en caractères ordinaires et laissant de grands intervalles entre les lambeaux de phrases et les mots isolés qui avaient échappé à M. Candy. Après quoi, pour découvrir le sens de cet ensemble incohérent, je fis ce que font les enfants quand ils assemblent les pièces d’un casse-tête. Au premier abord, l’embrouillamini paraît inextricable ; mais dès que vous avez trouvé la manière de vous y prendre, la suite marche toute seule. Conformément à cette donnée, je remplis les espaces blancs avec les mots et les phrases que je présumais devoir rendre le mieux la pensée du docteur ; je procédai par retouches successives jusqu’à ce que les passages intercalés