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sions à tirer de l’état du pouls. Comme il était des plus accélérés, les deux médecins opinèrent pour un traitement calmant. Quant à moi, bien que j’admisse la justesse de ce diagnostic, l’extrême faiblesse des pulsations me démontrait la nécessité de soutenir à tout prix un tempérament épuisé : je me prononçai donc pour l’emploi des stimulants. Les docteurs insistèrent pour mettre le malade au régime du gruau, de la limonade, enfin de tous les rafraîchissants. Moi je proposai le champagne, l’eau-de-vie, l’ammoniaque et le quinine. Vous voyez que le dissentiment était complet entre nous. Et dans quelles conditions s’établissait cette divergence d’opinion ? Il y avait d’une part deux médecins en possession d’une réputation acquise, d’autre part un étranger, sans notoriété, qui ne remplissait même dans la maison que les fonctions d’assistant. Pendant les premiers jours, force me fut de déférer à l’autorité de mes anciens, et le malade baissa visiblement. Je fis valoir de nouveau les inquiétudes trop fondées que me donnait l’état du pouls ; il n’avait pas diminué de vitesse et devenait de plus en plus faible. Les deux docteurs s’offensèrent de mon obstination. « Monsieur Jennings, me dirent-ils, de deux choses l’une : ou nous aurons la direction du traitement ou vous en prendrez la responsabilité ; choisissez. — Messieurs, répliquai-je, veuillez m’accorder cinq minutes de réflexion, et je vous répondrai nettement. » Les cinq minutes écoulées, j’étais prêt, et dis : « Vous refusez absolument l’emploi des toniques ? » Ils refusèrent en termes formels. « Alors je l’essayerai, messieurs. — À votre aise, monsieur Jennings ; mais dès ce moment nous n’avons plus rien à faire ici. » J’envoyai chercher à la cave une bouteille de champagne et j’en donnai de ma main un plein verre au malade. Les deux médecins prirent silencieusement leurs chapeaux et quittèrent la maison.

— Vous assumiez en effet une sérieuse responsabilité, dis-je, et je crois qu’à votre place je n’aurais pas osé l’affronter.

— Si vous aviez été à ma place, monsieur Blake, vous vous seriez souvenu que M. Candy vous avait accueilli dans des circonstances qui vous faisaient son obligé pour toute votre vie. À ma place, le voyant s’affaiblir d’heure en heure, vous eussiez tout risqué plutôt que de laisser périr sous vos