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l’intéressa à moi. Il sourit de nouveau. Nous venions de quitter les dernières maisons de la ville. Ezra Jennings s’arrêta un instant et cueillit quelques fleurs sauvages dans la haie qui bordait la route.

« Qu’elles sont belles ! dit-il simplement en me montrant son petit bouquet, et combien peu de personnes en Angleterre savent les apprécier !

— Vous n’avez pas toujours vécu en Angleterre ? lui dis-je.

— Non, je suis né et j’ai passé une partie de mon enfance aux colonies. Mon père était Anglais, mais ma mère… Nous nous écartons de notre sujet, monsieur Blake, et par ma faute. Le fait est que ces modestes petites fleurs me rappellent bien des souvenirs. Mais laissons cela, nous parlions de M. Candy ; revenons à lui. »

En réunissant le peu de détails personnels qui venaient de lui échapper malgré lui à cette mélancolique appréciation du bonheur qu’il plaçait dans l’oubli du passé, je fus conduit à penser que l’expression de sa physionomie trahissait la vérité, au moins sur deux points, c’est-à-dire qu’il avait souffert d’une façon exceptionnelle, et que le sang anglais était mêlé chez lui à celui d’une race étrangère.

« Vous connaissez, je pense, reprit-il, l’origine de la maladie de M. Candy ? Il tombait une pluie abondante le soir de son retour de chez lady Verinder ; le docteur revint dans sa voiture découverte et fut mouillé jusqu’aux os. À son arrivée il se trouva appelé pour un cas urgent et s’y rendit malheureusement sans changer de linge ; j’étais moi-même retenu cette nuit-là par un malade à quelque distance de Frizinghall ; lorsque je revins vers le matin, le groom du docteur m’attendait anxieusement pour me conduire près de son maître ; j’arrivais trop tard, la maladie avait commencé son œuvre.

— On m’a parlé de cette maladie comme d’une espèce de fièvre, dis-je.

— Je ne pourrais rien préciser, répondit Ezra Jennings, car jusqu’à la fin la fièvre n’eut aucun caractère bien tranché. J’envoyai chercher deux amis de M. Candy, docteurs de la ville, afin d’avoir leur opinion ; ils trouvèrent, comme moi, la situation très-grave, mais nous différâmes du tout au tout tant sur le mode de médication à suivre que sur les conclu-