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Il n’est pas toujours facile de répondre à une lettre qui ne contient rien d’intéressant ; et la missive de Betteredge rentrait dans cette catégorie. L’assistant de M. Candy ayant dit à son maître qu’il m’avait vu, celui-ci avait témoigné le désir de me parler lorsque je reviendrais aux environs de Frizinghall ; telle était la substance de cette lettre. Je m’assis devant ma table de travail, mais mon attention était distraite, et, au lieu d’écrire à Betteredge, je me mis à dessiner de souvenir sur le papier des portraits du singulier aide de M. Candy, jusqu’à ce que je fusse surpris moi-même tout à coup de ma tendance à m’occuper d’un étranger. Je jetai une douzaine de portraits de l’homme aux cheveux pie dans le panier à papier ; leur ressemblance était frappante, au moins quant aux cheveux ! Puis j’écrivis à Betteredge ; cette lettre fort terre à terre produisit un excellent effet sur moi ; l’effort que je fis pour m’exprimer en vulgaire anglais eut pour résultat immédiat de débarrasser mon cerveau du fatras nuageux qui l’obscurcissait depuis la veille. Impatient de pénétrer le mystère de ma situation, je m’appliquai à donner une direction pratique à mes recherches. Les événements de la nuit du jour de naissance de Rachel étant toujours incompréhensibles pour moi, je fis en sorte de remonter à quelques heures en arrière, dans l’espoir d’y découvrir un incident quelconque qui me permît de m’orienter au milieu de ces ténèbres.

Était-il arrivé quelque chose tandis que Rachel et moi mettions la dernière main à la peinture de la porte ? ou ensuite, lorsque je m’étais rendu à Frizinghall ? ou plus tard, lorsque j’étais revenu avec Godfrey Ablewhite et ses sœurs ? ou lorsque j’avais remis la Pierre de Lune à Rachel ? ou, enfin, lorsque les invités avaient pris place à table ? Jusque-là ma mémoire répondit fidèlement à toutes mes questions ; mais dès que je voulus me rappeler les incidents du dîner, je me trouvai arrêté par une lacune absolue dans mes souvenirs. J’avais même oublié le nombre des convives.

Je ne me fus pas plus tôt rendu compte de cette difficulté de mémoire, que j’inclinai à attribuer une importance capitale au détail des incidents de ce dîner. Nous sommes tous ainsi faits : une fois que nous sommes engagés dans une recherche qui touche à notre intérêt personnel, c’est préci-