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de police, je l’ai vu ! Vous mîtes le diamant en gage chez M. Luker, à Londres, j’en suis sûre ! Vous avez grâce à mon misérable silence, laissé planer sur un innocent les soupçons qui auraient dû se porter sur vous ! À peine en possession de votre proie, vous vous êtes dès le lendemain enfui vers le continent. Après tant de bassesses, il ne vous en restait plus qu’une à commettre, c’était de venir ici, la fausseté sur les lèvres, et d’oser me dire que j’ai mal agi envers vous ! »

Si j’étais resté un instant de plus dans la pièce, je ne sais quelles paroles m’eussent échappé, que j’aurais regrettées à jamais. Je passai devant elle, et j’ouvris la porte pour la seconde fois ; mais avec la violence obstinée d’une femme hors d’elle-même Rachel me saisit par le bras et me barra le passage.

« Laissez-moi, Rachel, lui dis-je ; c’est préférable pour chacun de nous, laissez-moi. »

Je sentais son souffle agité près de mon visage ; son sein se soulevait convulsivement, et elle me maintenait avec une force factice contre la porte.

« Pourquoi être venu ici ? continua-t-elle avec désespoir, je vous le demande encore, pourquoi ? Craignez-vous que je ne vous dévoile ? Maintenant que vous possédez richesse, position, que vous pouvez épouser la fille la mieux née de notre pays, craignez-vous que je ne dévoile à d’autres ce que je n’ai jamais dit qu’à vous ? Je ne parlerai pas, je ne pourrais pas me résoudre à vous perdre ! Je vaux moins, oui, moins si c’est possible, que vous-même ! »

Des larmes et des sanglots lui coupèrent la voix ; elle essaya, mais en vain, de les réprimer ; elle m’étreignait de plus en plus fort.

« Je ne puis vous arracher de mon cœur, disait-elle, même à l’heure présente ! Ah ! vous n’êtes que trop en droit de compter sur cette honteuse faiblesse qui ne sait même pas lutter contre vous ! »

Elle me lâcha tout à coup, et tordit ses mains avec douleur.

« Toute autre femme fuirait à son approche ! s’écria-t-elle. Oh ! mon Dieu ! je me méprise encore plus sincèrement que je ne le méprise lui-même ! »