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Déjà, elle commençait à céder. Oh ! quelle éducation elle avait dû recevoir ! et qu’à sa place j’eusse agi différemment !

« Ne me tentez pas, Godfrey, je suis déjà bien assez malheureuse et prête à tout braver, ne me poussez pas davantage !…

— Laissez-moi seulement vous poser une question, Rachel ; avez-vous quelque objection personnelle contre moi ?

— Pourquoi ? mais j’ai toujours eu de l’amitié pour vous, et après la proposition que vous venez de me faire, il faudrait que je fusse dépourvue de tout sentiment élevé pour ne pas vous honorer et vous admirer.

— Connaissez-vous beaucoup de femmes, ma chère Rachel, qui puissent en offrir autant à leurs maris ? Et pourtant ces ménages s’entendent fort bien. Y a-t-il beaucoup de fiancées allant à l’autel dont le cœur supporterait un examen minutieux de la part de leur mari ? Et néanmoins ces unions ne sont pas malheureuses, et le lien conjugal se soutient sans être mis à des épreuves trop rudes. À dire le vrai, les femmes prennent le mariage comme pis-aller bien plus souvent qu’on ne serait tenté de le croire et, qui plus est, elles n’ont pas lieu de s’en repentir. Maintenant, examinez votre situation personnelle ; à votre âge, douée comme vous l’êtes, pourriez-vous vous condamner à vivre seule ? Non ! Fiez-vous-en à mon expérience de la vie, rien n’est plus impraticable ! Ce n’est qu’une question de temps, et vous ferez tel ou tel mariage d’ici à quelques années. Pourquoi alors ne pas accepter l’homme qui est à vos pieds, ma chérie, et qui attache à votre affection, à votre estime, plus de prix qu’à l’amour d’aucune autre femme en ce monde !

— Prenez garde, Godfrey ! vous m’ouvrez une perspective qui ne m’était jamais apparue. Vous me tentez en me montrant un nouvel horizon quand tous les autres me sont fermés. Je vous le répète, pour peu que vous insistiez, je suis assez malheureuse, assez désespérée pour vous prendre au mot et vous épouser. Faites votre profit de cet avertissement et laissez-moi.

— Je ne me relèverai pas que vous ne m’ayez dit oui !

— Si je dis oui, vous vous en repentirez, et moi je le regretterai, lorsqu’il sera trop tard.