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était venu de vérifier l’exactitude des suppositions de M. Bruff. Tout entier à l’épreuve que j’allais tenter, je me plaçai bien en face d’elle.

« J’ai une question à vous faire, quoiqu’elle m’oblige à revenir sur un sujet pénible, lui dis-je ; Rosanna Spearman vous montra-t-elle la robe de nuit ? Oui ou non ? »

Elle fit un bond qui l’amena tout près de moi. Ses yeux fouillèrent mon visage, pour ainsi dire, comme si elle cherchait à y découvrir une expression inaccoutumée.

« Êtes-vous donc en démence ? » demanda-t-elle.

Je me contins encore et dis avec calme :

« Rachel, voulez-vous répondre à ma question ? »

Elle poursuivit sans prendre garde à moi :

« Avez-vous un mobile que je ne comprenne pas ? L’avenir vous inquiète-t-il et suis-je pour quelque chose dans vos craintes ? On dit que la mort de votre père vous a rendu héritier d’une grosse fortune, venez-vous alors m’offrir l’équivalent de la perte de mon diamant ? Et vous reste-t-il assez de cœur pour sentir la honte de votre situation ? Est-ce là le secret de votre prétendue innocence et de la ridicule histoire de Rosanna ? La conscience se réveille-t-elle enfin chez vous au fond de tous ces mensonges ?

Ici je l’interrompis, incapable de me maîtriser plus longtemps.

« Vous m’avez indignement calomnié, m’écriai-je ; vous osez me soupçonner d’avoir volé votre joyau ; j’ai le droit de savoir et je saurai le motif de cette accusation ! »

À mesure que je m’échauffais, sa colère grandissait aussi.

« Vous soupçonner, fit-elle ; mais, misérable que vous êtes, quand je vous ai vu de mes propres yeux voler le diamant ! »

Je fus frappé de stupeur à cette révélation foudroyante qui faisait crouler l’édifice des suppositions de M. Bruff. Malgré mon innocence, je restai muet devant elle. À ses yeux, comme aux yeux de quiconque m’aurait vu en ce moment, je dus avoir l’air d’un coupable écrasé par la découverte son crime.

Elle recula devant le spectacle de mon accablement et de son triomphe ; elle fut effrayée du morne silence que je gardais.

« Je vous ai épargné pour un temps, dit-elle, et je vous