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sage de ses membres ; elle s’avança de son côté, mais sans parler, et se rapprocha de plus en plus de moi comme si elle agissait sous une influence plus forte que sa volonté ; son teint reprit sa chaude coloration, et la flamme de l’intelligence brilla de nouveau dans ses yeux. J’oubliai le motif de ma visite, les soupçons honteux dont elle avait terni mon nom. Passé, présent, avenir, j’oubliai toutes les considérations dont l’honneur me faisait une loi de me souvenir. Je ne vis plus qu’une chose : la femme que j’aimais s’avançait vers moi ; elle tremblait, son irrésolution lui donnait un charme de plus, je n’y pus résister plus longtemps ; je la saisis dans mes bras, et couvris sa figure de baisers.

Il y eut un instant où je crus que mes caresses m’étaient rendues, un instant où il me sembla qu’elle aussi avait oublié. Illusion bientôt détruite, car dès qu’elle eut repris possession d’elle-même, sa première action volontaire me laissa cruellement voir qu’elle se souvenait. Avec un cri qui était comme un cri d’horreur, avec une force à laquelle, l’eussé-je voulu, j’aurais eu peine à résister, elle me repoussa loin d’elle. Je lus une colère sans merci dans son regard, et le mépris le plus impitoyable se peignit sur ses lèvres. Elle me toisa de la tête aux pieds, comme elle l’eût fait d’un étranger qui l’aurait insultée.

« Lâche, s’écria-t-elle ; vil, méprisable lâche, sans cœur et sans honneur ! »

Telles furent ses premières paroles ! De toutes les injures qu’une femme peut adresser à un homme, elle choisit la plus sanglante pour me la jeter à la face !

« Je me souviens du temps, Rachel, lui dis-je, où vous m’auriez témoigné votre mécontentement d’une offense dans des termes moins indignes de vous et de moi ; je vous demande pardon. »

Ma voix dut trahir l’amertume qui remplissait mon cœur. Dès les premiers mots de ma réplique, ses yeux, qui s’étaient détournés de moi, revinrent involontairement me chercher ; elle me répondit d’un ton sourd et avec un calme maussade que je ne lui avais jamais vu.

« J’ai peut-être quelque excuse à invoquer, dit-elle. Après ce que vous avez fait, il peut sembler bas de vous imposer ainsi à moi ; il peut sembler vil de spéculer sur ma faiblesse