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Je mis sa lettre dans ma poche et l’oubliai une seconde après, absorbé que j’étais par l’idée de ma prochaine entrevue avec Rachel.

À trois heures sonnant, je me trouvais devant la grille du jardin de M. Bruff et j’introduisais la clé dans la serrure. À peine fus-je entré, à peine eus-je refermé la porte, qu’un trouble étrange s’empara de moi ; je regardai hâtivement de tous côtés comme si j’eusse soupçonné dans quelque coin du jardin la présence d’un témoin inconnu. Pourtant rien ne justifiait mes appréhensions ; les allées restaient solitaires, et les oiseaux et les abeilles, voltigeant autour de moi, paraissaient être les seuls témoins de mon agitation.

Je traversai le jardin, j’entrai dans la serre, et de là dans le petit salon. Comme je posais ma main sur la porte du milieu, quelques accords frappèrent mon oreille ; j’avais souvent entendu Rachel, dans la maison de sa mère, promener ses doigts ainsi à l’aventure sur le piano. Je dus attendre un instant afin de reprendre mon sang froid ; le passé et le présent s’offraient à moi avec le contraste saisissant de leurs dissemblances, et l’émotion de ces souvenirs me dominait ; je pus enfin me remettre, je poussai la porte et j’entrai.


CHAPITRE VII


Au bruit que je fis, Rachel se leva du piano et me vit devant la porte, que je fermais derrière moi.

Nous nous regardâmes en silence, toute la longueur de la pièce nous séparant ; le mouvement qu’elle avait fait en se levant paraissait être le seul dont elle fût capable ; il semblait qu’elle eût concentré dans ses yeux fixement attachés sur moi tout l’effort de ses facultés physiques et morales.

Je craignis de lui être apparu trop brusquement. Je m’avançai vers elle et lui dis doucement : « Rachel ! » Au son de ma voix, elle recouvra ses couleurs en même temps que l’u-