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« Viendra-t-elle ?

— Elle vient aujourd’hui goûter et passer l’après-midi avec mes filles.

— Mrs Bruff et vos filles sont-elles dans le secret ?

— Nécessairement ; mais les femmes, vous avez pu le remarquer, n’ont pas de principes, ma famille n’éprouve pas le plus léger remords de conscience ; le but étant de réconcilier Rachel et vous, ma femme et mes filles trouvent tous les moyens bons pour arriver à cette fin et n’ont pas plus de scrupules que des jésuites.

— Combien je les en remercie ! Qu’est-ce donc que cette clé ?

— La clé de la grille de mon jardin ; soyez-y à trois heures, puis entrez par la serre. Traversez le petit salon, ouvrez la porte du milieu qui donne dans le salon de musique ; vous y trouverez Rachel, et elle sera seule.

— Comment ferai-je pour vous témoigner ma reconnaissance ?

— Je vais vous le dire : ne me reprochez jamais les conséquences de ce que vous allez tenter. »

Sur ces mots, il me quitta.

J’avais encore bien des heures à attendre, et pour prendre patience, je me mis à ouvrir ma correspondance ; entre autres lettres j’en trouvai une de Betteredge.

Je la décachetai avec empressement et j’eus un vif désappointement en lisant le début, où il s’excusait de n’avoir rien d’intéressant à me narrer. Pourtant dès la phrase suivante apparaissait l’inévitable Ezra Jennings ! Il avait accosté Betteredge au sortir de la station pour lui demander qui j’étais ; renseigné sur ce point, il avait parlé de sa rencontre à M. Candy, qui s’était empressé aussitôt de venir trouver Betteredge et lui avait exprimé son regret de n’avoir pu me voir.

Il avait une raison particulière pour désirer me parler et tenait infiniment à savoir quand je reviendrais à Frizinghall.

Tel était le fond de la missive de Betteredge, dont je ne supprime que quelques apophthegmes philosophiques dans la manière habituelle de mon correspondant. Du reste, ce bon et dévoué serviteur avouait qu’il m’avait écrit « surtout pour le plaisir de s’entretenir avec moi. »