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jusqu’ici par un motif que moi, qui connais son caractère, je puis apprécier. Il est impossible, après ce qui est arrivé, qu’elle persiste dans son silence. Il faut qu’elle comprenne qu’elle doit parler, ou bien on l’obligera à faire connaître les preuves sur lesquelles elle appuie sa conviction de votre culpabilité. Quelque sérieuse que paraisse la situation, il y a bien des chances pour que tout s’arrange si nous pouvons obtenir de Rachel qu’elle sorte enfin de son silence et consente à s’expliquer.

— Cette opinion est très-consolante pour moi ! dis-je ; j’avoue que je désirerais savoir…

— Vous voudriez savoir, interrompit M. Bruff, sur quel fondement elle repose. Je vais vous le dire en deux minutes ; mais entendez bien que je me place d’abord au point de vue de l’homme de loi ; tout est pour moi une question de preuves ; or, les preuves manquent dès le début sur un point très-important.

— Sur quel point ?

— Vous allez le savoir ; j’admets que la marque du vêtement le fasse reconnaître comme vous appartenant ; j’admets encore que ses taches de peinture prouvent qu’il a frôlé la porte de Rachel ; mais qu’est-ce qui nous assure, vous ou moi, que vous êtes bien la personne qui portait ce vêtement ? »

Cette objection me frappa d’autant plus qu’elle était du nombre de celles que je m’étais déjà posées.

« Quant à ceci, fit M. Bruff en désignant la confession de Rosanna, je comprends que cette lettre vous ait affligé ; je comprends aussi que vous hésitiez à l’envisager à un point de vue absolument impartial ; mais moi, qui ne suis pas dans votre position, je puis appeler mon expérience professionnelle à mon aide, et juger ce document comme je le ferais de tout autre. Sans insister sur le passé de cette femme, autrefois voleuse de profession, je vous ferai observer que sa lettre prouve qu’elle est experte dans l’art de tromper, et cela de son propre aveu ; j’en conclus donc que je suis parfaitement en droit de la soupçonner de n’avoir pas dit toute la vérité. Je ne veux émettre aucune hypothèse jusqu’à présent sur ce qu’elle a pu faire ou ne pas faire ; je dirai seulement ceci : c’est que si Rachel vous accuse sur le seul