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tion du sergent un démenti complet : j’avais déclaré hautement « que je ne prenais aucun intérêt aux affaires de Rosanna Spearman ! » Sur ces mots, dits dans le but de la mettre sur ses gardes et de l’engager à ne me faire aucune confidence, elle avait quitté subitement sa place ; je crus l’avoir prémunie contre les dangers qu’elle courait, et je vois maintenant que mes paroles durent la mener au suicide. J’ai déjà relaté les événements qui me firent faire l’incroyable découverte des Sables, et la partie rétrospective de mon récit est terminée. J’abandonne la triste histoire de Rosanna, à laquelle après bien des années je ne puis songer sans un serrement de cœur ; maintenant que j’ai assez entretenu le lecteur du drame accompli aux Sables-Tremblants, ainsi que des conséquences qui en résultèrent pour moi dans le présent et dans l’avenir, je reviens aux vivants, j’ai à parler d’événements qui, dans les ténèbres où je tâtonnais, m’aidèrent à découvrir enfin la vérité.


CHAPITRE VI


J’arrivai à la station du chemin de fer, accompagné, il va sans dire, de Gabriel Betteredge. J’avais la lettre dans ma poche, la robe de nuit emballée dans mon sac, et j’étais décidé à ne pas me coucher que je n’eusse mis les deux objets sous les yeux de M. Bruff.

Nous quittâmes la maison en silence ; pour la première fois depuis que je connaissais mon vieux Betteredge, je le trouvai muet ; mais comme j’avais à lui parler, j’ouvris la conversation de mon côté :

« Avant que je parte pour Londres, lui dis-je, j’ai deux questions à vous faire ; elles se rapportent à moi, et vous surprendront peut-être.

— Si elles me font oublier la lettre de cette pauvre fille, monsieur Franklin, elles seront les bienvenues. Donc, veuillez me surprendre le plus tôt que vous le pourrez.