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— Mon Dieu, monsieur Franklin, son extérieur d’abord ne prévient pas en sa faveur ; puis on raconte que M. Candy l’a pris avec une réputation douteuse. Nul ne sait qui il est, et on ne lui connaît pas un seul ami ici. Comment voulez-vous qu’on l’aime après cela ?

— C’est tout simplement impossible ! Puis-je demander ce que signifie le papier qu’il vous a remis ?

— C’est la liste des pauvres malades qui ont besoin de vin. Milady faisait toujours faire une distribution régulière de vieux porto et de sherry aux malades nécessiteux, et miss Rachel désire que l’on continue. Que les temps sont changés ! Je me souviens qu’autrefois M. Candy lui-même apportait la liste à ma maîtresse. Aujourd’hui c’est à moi qu’on l’apporte, et c’est l’assistant de M. Candy qui est chargé de ce soin. Si vous le permettez, monsieur, je vais continuer à lire la lettre, poursuivit Betteredge, qui reprit le manuscrit de Rosanna Spearman. Cette lecture n’est pas gaie, je vous l’accorde ; pourtant j’éviterai ainsi de me lamenter sur le passé. »

Il mit ses lunettes et hocha tristement la tête :

« Avouez que nous montrons tous bien du bon sens dans la conduite que nous tenons envers nos mères, lorsqu’elles nous lancent sur le chemin de la vie ; nous semblons tous plus ou moins contrariés de venir au monde, et franchement nous n’avons pas tort. »

L’aide de M. Candy m’avait causé une telle impression qu’elle ne pouvait se dissiper si promptement ; aussi laissai-je passer cette irréfutable boutade du philosophe Betteredge, et revins-je à l’homme aux cheveux pie.

« Comment se nomme-t-il ? dis-je.

— Son nom est aussi laid que sa personne, répondit Betteredge d’un ton bourru : Ezra Jennings. »