Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mentde nuit était le coupable ! Et j’avais entre les mains l’unique pièce de conviction qui existât contre vous ! et aucune créature vivante, pas même vous, ne le savait ! Je n’ose vous dire quels sentiments m’agitaient, au fur et à mesure que ces pensées se présentaient à mon esprit ; si je vous les faisais connaître, vous en viendriez à détester ma mémoire. »

Arrivé là, Betteredge suspendit sa lecture, ôta ses lourdes lunettes, et repoussa à quelque distance de lui la confession de Rosanna Spearman.

« Je ne prévois aucun éclaircissement jusqu’ici, monsieur Franklin, me dit le vieillard ; et vous, monsieur, avez-vous pu vous former une opinion depuis que je lis ?

— Finissons d’abord la lettre, Betteredge ; la fin nous éclairera peut-être ; j’aurai un mot à vous dire après cela.

— Très-bien, monsieur ; je vais laisser reposer mes yeux, puis je reprendrai. Mais en attendant, et sans vouloir vous presser, monsieur Franklin, voyez-vous poindre quelque chose dans ce terrible gâchis ?

— Je vois tout d’abord ma route vers Londres, où je vais consulter M. Bruff ; s’il ne peut m’aider…

— Eh bien, monsieur ?

— Et si le sergent ne veut pas quitter sa retraite de Dorking…

— Il ne la quittera pas, monsieur Franklin !

— Alors, Betteredge, tout ce que je vois pour le moment, c’est que je suis à bout de ressources. Après le sergent et M. Bruff, je ne connais personne qui puisse m’être d’aucune utilité. »

À ces mots, quelqu’un frappa à la porte. Betteredge parut surpris et mécontent de cette interruption.

« Entrez ! » cria-t-il d’un ton d’impatience.

La porte s’ouvrit, et je vis s’avancer tranquillement vers nous un des hommes les plus extraordinaires qu’il m’ait été donné de rencontrer. À en juger par sa tournure, il était encore jeune ; à voir son visage, on l’eût cru plus âgé que Betteredge. Son teint était bistré, et ses joues tellement creuses que les os se projetaient en avant ; son profil offrait ce beau type régulier si commun chez les vieilles races de l’Orient et si rare parmi nous autres Occidentaux. Le front