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d’envisager les choses me fit, je crois, tourner la tête. Je fus dévorée d’un désir insensé de vous voir, de vous mettre à l’épreuve par quelques mots au sujet du diamant, d’attirer, de forcer votre attention ; je me coiffai et m’ajustai de mon mieux ; puis j’allai hardiment vous trouver dans la bibliothèque où vous écriviez.

« Vous aviez oublié une de vos bagues dans votre chambre, et c’était une excuse suffisante pour justifier ma démarche auprès de vous. Mais, oh ! monsieur, si jamais vous avez aimé, vous comprendrez comment tout mon courage s’évanouit lorsque j’entrai dans la pièce et que je me trouvai en votre présence. Et puis vous me regardâtes d’un air si froid, et vos remerciements, quand je vous rendis la bague, furent exprimés avec tant d’indifférence, que je sentis mes genoux fléchir sous moi comme si j’allais tomber. Après m’avoir remerciée, vous vous remîtes à écrire. L’humiliation que j’éprouvai d’être traitée de la sorte fut telle qu’elle me donna la force de reprendre la parole.

« — C’est une étrange affaire, monsieur, dis-je, que celle de ce diamant. »

« Je vous vis lever les yeux, et me répondre :

« — Oui, en effet. »

« Vous étiez poli, je ne puis le nier, mais quelle cruelle distance vous mainteniez entre nous ! Croyant, comme je le faisais, que vous portiez le diamant caché sur vous, votre sang-froid m’exaspéra tellement, que, sous l’impression du moment, je m’enhardis à procéder par allusion directe, et je dis :

« — Ils ne retrouveront jamais le diamant, n’est-ce pas, monsieur ? non, ni la personne qui l’a pris, cela, j’en réponds bien. »

« Je souris, et vous fis un petit signe d’intelligence, comme pour dire :

« — Je sais tout. »

« Cette fois, vous me regardâtes avec quelque intérêt, et je sentis que deux mots de plus échangés entre nous feraient jaillir la vérité. Juste à ce moment, pour mon malheur, M. Betteredge gâta tout en s’approchant de la pièce ; je connaissais son pas, et je savais aussi que ma présence dans la bibliothèque à cette heure de la journée était con-