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sonnes que je vécusse, le sentiment pénible de mon isolement me suivait. Mon devoir était, je le sentais, de me lier avec mes camarades dans ma nouvelle place, et pourtant je ne pus jamais me rapprocher d’elles. Elles paraissaient, ou plutôt je me le figurais, soupçonner quel était mon passé ; je ne regrette pas, loin de là, les efforts faits pour me réformer ; mais néanmoins, mon Dieu ! que la vie était devenue sombre ! Vous l’aviez traversée comme un rayon de soleil, et vous aussi, vous veniez à me manquer. Je fus assez folle pour vous aimer, et je ne pouvais même attirer votre attention ! Il y avait bien des peines, bien des amertumes dans mon existence.

« J’arrive maintenant à ce que je voulais vous dire. Dans ces jours de tristesse, j’allai deux ou trois fois à ma place favorite, la berge située au-dessus des Sables-Tremblants. Je me disais à moi-même : « Tout finira ici, lorsque je ne pourrai plus supporter la vie ; je pense que tout finira ici. » Il faut que vous compreniez, monsieur, que ce lieu exerçait une sorte de fascination sur moi dès avant votre arrivée ; j’avais toujours eu le pressentiment que les Sables seraient pour quelque chose dans ma destinée. Mais je n’y avais jamais songé comme au moyen de me débarrasser de l’existence jusqu’au temps dont je vous entretiens ici. Alors je pensai que là était le lieu qui terminerait toutes mes peines et me cacherait ensuite à jamais.

« Voilà tout ce que j’ai à vous apprendre à mon sujet, à partir du moment où je vous vis pour la première fois jusqu’à celui où l’alarme fut donnée dans la maison par la perte du diamant. Je fus choquée des sottes conjectures que les femmes de la maison émettaient relativement au vol, et, ignorant alors ce que je sus plus tard, je me sentis si irritée contre vous par suite de votre empressement à faire intervenir la police, que je me tins autant que possible en dehors de mes compagnes jusqu’à ce que l’officier de police arriva vers la fin de la journée. M. Seegrave commença, si vous vous en souvenez, par établir une surveillance à la porte de nos chambres, et toutes les femmes coururent après lui pour lui demander ce qui leur valait cette insulte ; je les suivis afin de ne pas me singulariser, car avec un homme comme M. Seegrave mon absence m’eût fait soupçonner tout de suite.