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célèbre, habitué à jouer sa vie et à lutter de ruse avec les coquins dans des contrées sauvages. Je rentrai dans ma petite chambre, je m’assis fort perplexe et me demandai avec effroi ce qu’il fallait faire. Dans l’état d’agitation où j’étais, bien d’autres seraient arrivés à se donner un accès de fièvre ; moi je pris un moyen fort différent, j’allumai ma pipe, et j’ouvris Robinson Crusoé.

Je ne lisais pas depuis cinq minutes que je tombai sur le passage suivant, page 161 :

« La crainte du danger est mille fois plus effrayante que le danger lui-même ; quand il s’offre à nos yeux, nous trouvons le poids de l’anxiété bien plus grand que le malheur que nous redoutons. »

L’homme qui, ne croira pas en Robinson Crusoé après cela, sera dépourvu d’intelligence, ou aveuglé par la présomption. Il devient inutile d’argumenter avec lui, et la compassion peut même être réservée pour des gens plus dignes d’intérêt.

J’étais près d’achever ma seconde pipe lorsque encore plein d’admiration pour ce merveilleux livre, je vis entrer Pénélope qui, après avoir servi le thé, était disposée à me faire son rapport sur la soirée du salon.

Elle avait laissé les Ablewhite chantant un duo qui commençait par d’énormes Oh ; elle avait remarqué que milady pour la première fois depuis que nous la connaissions faisait des erreurs au whist ; le voyageur dormait dans un coin. Pendant ce temps, M. Franklin s’égayait aux dépens des œuvres de charité féminines en général ; Pénélope observa que les répliques de M. Godfrey étaient plus aiguisées qu’il ne convenait à ses vertus philanthropiques. Elle vit aussi miss Rachel qui, tout en ayant l’air de montrer des photographies à Mrs Threadgall, échangeait avec M. Franklin des regards parfaitement clairs aux yeux de toute femme de chambre intelligente. Enfin, n’ayant plus vu M. Candy, qui avait disparu mystérieusement et qui était revenu de même, elle le retrouva en conversation avec M. Godfrey. En somme, les choses marchaient mieux que ne pouvait le faire espérer la tristesse du dîner ; pour peu que cela se soutînt encore une heure ainsi, le bonhomme Temps viendrait à notre aide en faisant avancer les voitures, et en nous rendant à tous notre liberté.