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satisfaction que me fit goûter le sentiment du devoir accompli, quand je me fus glissée furtivement hors de la maison et que je me retrouvai dans la rue, mon sac vide à la main ! Oh ! mes amis mondains, vous qui poursuivez le fantôme du plaisir, à travers les dangers de la dissipation, qu’il est aisé d’être heureux, si vous voulez être bons !

Lorsque je pliai mes vêtements pour la nuit, et que je réfléchis sur les vraies richesses que je venais de semer d’une main si prodigue du haut en bas de la demeure de mon opulente parente, je vous assure que je me sentis aussi légère que si j’étais revenue aux jours de mon enfance. J’avais le cœur si gai que je chantai un verset de l’Hymne du soir ; mon ravissement était tel que je m’endormis avant de pouvoir finir le second : je vous le dis, la satisfaction de l’enfance, une enfant ! Ainsi se passa cette heureuse nuit. En me levant le lendemain matin, combien je me sentis pleine de jeunesse ! Je pourrais ajouter : combien j’avais l’air jeune ! si j’étais capable de m’arrêter sur ce qui concerne mon corps périssable ; mais je ne commettrai pas cette énormité, je n’ajouterai rien. Vers l’heure du luncheon, je mis mon chapeau pour me rendre à Montagu-Square. Je choisis ce moment parce que c’était celui où j’étais le plus certaine de trouver ma tante, et nullement parce qu’il me permettait de satisfaire ma sensualité. Pendant que je m’apprêtais, la servante du logement que j’occupais entra et me dit :

« Le domestique de lady Verinder désire voir miss Clack. »

Je vivais à cette époque à un rez-de-chaussée ; et le parloir de la façade me servait de petit salon, bien petit, bien bas de plafond, très-pauvrement meublé, mais si propre, et si bien rangé ! J’allai dans le passage voir ce que désirait le messager de lady Verinder. Elle m’envoyait le valet de pied Samuel. Ce jeune homme avait des manières polies et obligeantes, une figure fraîche et des yeux dont l’expression laissait voir qu’il eût été apte à recevoir une pieuse instruction. Je m’étais toujours senti de l’intérêt pour l’âme de Samuel et je désirais essayer sur lui l’effet de quelques paroles sérieuses ; Je profitai de l’occasion pour l’engager à entrer dans mon salon. Il entra, un gros paquet sous le bras ; lorsqu’il le déposa, il parut effrayé :

« Les compliments de milady, miss ; on m’a chargé de vous