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pour démontrer la supériorité de mon ministère sur celui des médecins n’eût servi qu’à pousser le docteur à profiter de la faiblesse humaine pour menacer sa malade, en cas de désobéissance, de lui retirer ses soins. Il existe heureusement plus d’un moyen de faire le bien, et peu de personnes sont plus versées que moi dans l’art de semer le bon grain.

« Vous pourrez vous sentir plus forte dans une heure ou deux, chère ; ou demain matin peut-être vous éveillerez-vous sentant que quelque chose vous manque, et alors ce modeste volume se trouvera à votre portée. Vous me permettrez de vous laisser ce livre, n’est-il pas vrai ? Le docteur ne saurait s’y opposer. »

Je le glissai sous les coussins, visible à moitié, près de son mouchoir et de son flacon ; de cette façon, chaque fois que sa main chercherait un de ces objets, elle toucherait le livre, et tôt ou tard le livre la toucherait. Cette précaution prise, je pensai à me retirer.

« Je vais vous quitter, chère tante ; reposez-vous bien, et je viendrai demain. »

En disant cela, je regardai par hasard du côté de la fenêtre qui était remplie de fleurs dans des jardinières. Lady Verinder avait la passion de ces trésors périssables et se levait souvent pour aller les voir ou les respirer. Une nouvelle idée traversa mon esprit.

« Puis-je prendre une fleur ? » dis-je, et je me dirigeai vers la fenêtre.

Au lieu de cueillir une fleur, j’en ajoutai une, en ce sens que je plaçai un autre livre de ma collection entre les roses et les géraniums pour y attendre ma tante. Une heureuse inspiration me vint ensuite :

« Pourquoi ne pas faire de même pour elle, pauvre âme, partout où elle entrera ? »

Je lui fis donc mes adieux aussitôt ; et traversant l’antichambre, je me glissai vers la bibliothèque. Samuel qui venait m’ouvrir supposa que j’étais sortie et redescendit. Je remarquai sur la table deux de ces livres amusants recommandés par l’impie docteur. Je les couvris à l’instant de deux de mes précieuses brochures ; dans le parloir du déjeuner se trouvait le serin favori de ma tante ; elle avait l’habitude de lui donner à manger elle-même, et le séneçon l’attendait