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de son infaillibilité mondaine, que je ne pus résister (je l’avoue à ma honte) à la tentation de le laisser s’enfoncer un peu plus avant de le confondre.

« Je n’ai pas la prétention d’argumenter avec un homme de loi aussi habile que vous, monsieur, lui dis-je. Mais n’est-ce pas être injuste envers M. Ablewhite que de passer sur l’opinion du célèbre agent de police qui a conduit l’enquête ? Dans l’esprit du sergent Cuff, il n’est pas resté l’ombre d’un soupçon contre personne, sauf contre miss Verinder.

— Est-ce que vous voudriez me faire comprendre, miss Clack, que vous partagez l’opinion du sergent ?

— Je ne juge personne, monsieur, et n’exprime pas d’opinion.

— Et moi, madame, je me rends coupable de ces deux énormités. Je juge que le sergent est entièrement dans l’erreur, et j’exprime l’opinion que, s’il avait connu le caractère de Rachel comme je le connais, il eût accusé la maison tout entière, sauf elle. J’admets ses défauts ; elle est concentrée et volontaire, bizarre, sauvage ; elle ne ressemble pas aux autres filles de son âge. Mais avec cela, vraie comme l’or, et pleine d’élévation, de caractère et de générosité. Si une chose m’était garantie par les témoignages les plus évidents, et que la parole d’honneur de Rachel en affirmât une autre, je m’engagerais sur sa parole, tout vieil avoué que je suis ; c’est beaucoup dire, miss Clack, mais je pense tout ce que je vous dis là.

— Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, monsieur Bruff, lui dis-je, ne pourriez-vous me rendre votre pensée plus sensible par un exemple ? Supposez que miss Verinder s’intéresse d’une façon inouïe à l’aventure de MM. Ablewhite et Luker, supposez encore qu’elle ait fait les questions les plus étranges à propos de ce scandale, et qu’elle ait montré l’agitation la plus inexplicable lorsqu’elle a vu la tournure que prenait cette mystérieuse affaire ?

— Supposez tout ce qu’il vous plaira, miss Clack, rien n’ébranlera ma confiance en Rachel Verinder.

— Doit-on réellement la croire autant que cela ?

— Tout autant que cela.

— Alors, permettez-moi de vous apprendre, monsieur Bruff, que M. Godfrey Ablewhite était ici il n’y a pas deux