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votre fille. » Il me posa ensuite quelques questions auxquelles je répondis assez légèrement jusqu’à ce que je visse que je l’affligeais, et il finit par obtenir de moi la promesse de le recevoir accompagné d’un autre docteur de ses amis, le jour suivant, à l’heure où Rachel serait sortie. Les deux médecins, à la suite de cette visite, me firent connaître, avec d’affectueux ménagements, ce qu’ils pensaient de mon état. Ils me dirent qu’un temps précieux avait été perdu, qu’on ne pourrait jamais le regagner, et que leur art était désormais impuissant contre mon mal. Depuis plus de deux ans, je souffrais d’une affection du cœur qui peu à peu avait détruit ma santé sans qu’aucun symptôme eût pu éveiller mon inquiétude. Il y a des chances pour que je vive encore plusieurs mois, mais la mort peut aussi me surprendre d’un instant à l’autre ; les docteurs n’osent se prononcer en termes plus précis. Il serait inutile de dire, ma chère, que depuis cet arrêt je n’ai pas traversé des moments douloureux, mais je suis plus résignée que je ne l’étais d’abord, et je m’occupe à régler mes affaires en ce monde. Mon désir le plus vif est que Rachel reste dans l’ignorance de mon état : si elle le connaissait, elle attribuerait la destruction de ma santé aux soucis de l’affaire du diamant, et se reprocherait amèrement, pauvre enfant, ce qui n’est en rien de sa faute, puisque les médecins sont d’accord qu’il y a plus de deux ans, si ce n’est trois, que le mal a débuté. J’espère que vous me garderez le secret, Drusilla, car je vois que vous ressentez de l’intérêt et de la pitié pour moi. »

Intérêt ! pitié ! Oh ! comment éprouver ces sentiments païens ; lorsqu’on est une Anglaise solidement attachée à ses croyances chrétiennes ?

Ma pauvre tante ne se doutait guère qu’un flot de sainte reconnaissance inondait mon âme à mesure que son triste récit approchait de sa fin. Quelle carrière d’utilité ouverte devant moi ! Une parente bien-aimée, une créature mortelle comme moi, à la veille de faire le grand voyage sans être aucunement préparée à cette épreuve, était amenée par un hasard providentiel à s’ouvrir à moi ! Avec quelle satisfaction je me rappelais que les amis ecclésiastiques sur lesquels je pouvais compter étaient au nombre non d’un ou deux, mais de vingt ou trente ! Je pris ma tante dans mes bras,