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envisager la question à mon point de vue en même temps qu’au vôtre. Pouvez-vous vous mettre pour un instant en mon lieu et place, moi qui me sens fort de mon expérience ? et voulez-vous me permettre de vous faire connaître en très-peu de mots ce que cette même expérience m’a appris ? »

Ma maîtresse fit un signe d’assentiment. Le sergent continua :

« Depuis vingt ans, j’ai eu à m’occuper de bien des cas de scandales domestiques, et cela sur un pied de confidence intime. Un des résultats de la connaissance du cœur humain que j’y ai acquise, et qui touche à ce qui nous occupe actuellement, peut se traduire en deux mots. Il n’est pas rare de voir des jeunes filles du rang le plus élevé avoir des dettes qu’elles n’osent avouer à leurs parents ou amis. Parfois le bijoutier et la marchande de modes en sont la cause. Souvent aussi, l’argent dont elles ont besoin a une destination que je ne veux pas spécifier par égard pour vos oreilles, et que d’ailleurs rien ne m’autorise à soupçonner ici. Veuillez ne pas perdre de vue ce que je viens de dire, et voyons si les événements auxquels j’ai assisté dans cette maison n’ont pas dû, de gré ou de force, réveiller ces souvenirs de ma longue expérience. »

M. Cuff sembla se recueillir un instant, puis il poursuivit sa démonstration avec une infernale clarté qui vous forçait à le comprendre, et une odieuse impartialité qui ne faisait grâce à personne.

« Mes premières informations relatives à la perte du diamant m’ont été fournies par l’inspecteur Seegrave. Il ne me laissa aucun doute sur son incapacité à mener l’affaire. Une seule chose me frappa dans son rapport, c’était que miss Verinder eût refusé de se laisser interroger par lui, et lui eût parlé avec tant de dédain et de dureté. Ceci me parut assez étrange, mais je l’attribuai au manque de tact dont l’inspecteur avait dû faire preuve vis-à-vis de miss Verinder. Je mis cet incident dans un des coins de ma mémoire, et je commençai seul mon instruction de l’affaire.

« Elle se termina, s’il vous en souvient, par la découverte de la tache faite à la peinture de la porte, et par les renseignements que me fournit M. Franklin, lesquels me prouvèrent que la tache et la perte du joyau tenaient au même pro-