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son, je subirai votre renvoi, mais je n’accepterai pas le payement. »

Ces paroles, prononcées d’un ton aussi respectueux que ferme, produisirent leur effet tant sur ma maîtresse que sur moi. Elle permit à M. Franklin de la ramener chez elle. Comme la porte se refermait sur eux, M. Cuff, dont le regard observateur s’était promené sur les femmes de la maison, remarqua que pendant que toutes les autres ne manifestaient que du saisissement, Pénélope seule pleurait.

« Quand votre père aura quitté ses vêtements mouillés, lui dit-il, venez nous parler dans la chambre de M. Betteredge. »

Avant que la demi-heure fût écoulée, j’avais changé d’habits et prêté au sergent les vêtements dont il avait également besoin. Pénélope vint alors nous retrouver. Je crois que je n’avais jamais autant senti qu’en ce moment le bonheur de posséder une fille respectueuse et aimante comme la mienne ; je l’assis sur mes genoux, et demandai à Dieu de la bénir. Sa tête se posa sur ma poitrine ; elle jeta ses bras autour de mon cou, et nous restâmes ainsi en silence. Il est probable que la pauvre Rosanna était de moitié entre nous pendant cet intervalle de recueillement. Le sergent alla à la fenêtre et regarda au dehors ; je fus touché de sa délicatesse, et je crus devoir l’en remercier.

Les gens du monde ont toutes les jouissances, celle, entre autres, de pouvoir donner un libre cours à leurs sentiments. Le peuple ne connaît point ce privilège. La nécessité qui épargne nos supérieurs est sans pitié pour nous. Nous apprenons à refouler nos émotions au dedans de nous-mêmes, pour qu’elles ne contrarient point l’accomplissement de nos travaux journaliers. Je ne m’en plains pas, je me borne à le constater. Par l’effet de cette habitude, Pénélope et moi nous nous mîmes à la disposition du sergent aussitôt qu’il le désira.

Il demanda à ma fille si elle savait ce qui avait pu pousser sa compagne au suicide.

Pénélope répondit, comme je devais m’y attendre, qu’elle s’était tuée par amour pour M. Franklin Blake. À la demande suivante, si elle avait fait part de son opinion à d’autres personnes qu’à nous, Pénélope répondit :