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L’homme s’éloigna piteusement. Il me serait difficile de rendre compte du sentiment que me fit éprouver la disparition de Rosanna ; je changeai cinquante fois d’opinion en un instant ; dans cet état je ne cessais de dévisager le sergent, et j’avais complètement perdu l’usage de la parole.

« Non, monsieur Betteredge, me dit le sergent, comme si ce diable d’homme lisait précisément ma pensée intime et y répondait, non, votre jeune protégée, Rosanna, ne glissera pas si aisément entre mes mains. Tant que je saurai où est miss Verinder, je serai en mesure de retrouver son associée. Je les ai empêchées de se rejoindre la nuit dernière, cela est pour le mieux ; mais elles se verront à Frizinghall au lieu de communiquer ensemble ici. Il faudra donc, un peu plus tôt que je ne le pensais, transporter l’enquête de cette maison à celle où séjournera miss Verinder. En attendant, je vais vous donner l’ennui de réunir de nouveau les domestiques. »

Je l’accompagnai au hall des domestiques. Il est honteux d’avoir à en convenir, mais il n’en est pas moins vrai que j’étais repris de la fièvre d’enquête ! J’oubliai que je détestais le sergent, car je le pris amicalement par le bras, en lui disant :

« Pour l’amour de Dieu, qu’allez-vous encore faire avec les gens ? »

Le célèbre Cuff s’arrêta court, et s’écria en aparté avec un mélancolique enthousiasme :

« Si cet homme (l’homme signifiait ma personne, je suppose) entendait seulement la culture des roses, il offrirait un des types les plus accomplis de la création ! »

Après cette manifestation de sentiment, il soupira et passa son bras sous le mien ; puis revenant au côté pratique il me dit :

« Voici où nous en sommes, Rosanna a pris un des deux partis suivants ; ou bien elle sera à Frizinghall avant que je puisse l’y devancer, ou bien elle est allée visiter sa cachette des Sables. Le premier point à vérifier est donc celui de savoir lequel des domestiques l’a vue en dernier, avant sa sortie. »

Nos questions nous apprirent que la dernière personne qui eût aperçu Rosanna était Nancy, la fille de cuisine.

Nancy l’avait vue se glisser dehors et remettre une lettre