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nement demandé. J’eusse désiré aller moi-même chercher M. Cuff à la station. Mais le poney-chaise étant requis pour M. Godfrey, il ne pouvait être question des chevaux et de la voiture de milady, même pour ramener une célébrité telle que le sergent. M. Godfrey exprima ses regrets très-affectueux à sa tante de se voir contraint de la quitter dans un pareil moment ; il remit même gracieusement son départ à l’heure du dernier train, afin d’être à même d’entendre l’opinion de l’habile officier de police envoyé de Londres.

Mais il lui fallait d’urgence être rendu à Londres vendredi soir, car samedi matin un comité charitable avait à le consulter pour sortir de graves embarras.

Lorsque le moment de l’arrivée du sergent approcha, j’allai jusqu’à la grille afin de le recevoir.

Un cab du chemin de fer arrivait à la loge en même temps que moi ; il en sortit un homme d’âge mûr, aux cheveux grisonnants, et d’une maigreur telle qu’il ne possédait certes pas une once de chair sur les os. Ses vêtements étaient propres et noirs ; il portait une cravate blanche.

Sa figure en lame de couteau, était recouverte d’une peau jaune et sèche comme les feuilles d’automne, et ses yeux gris d’acier vous fixaient d’une façon gênante, comme s’ils eussent voulu lire dans vos pensées plus avant que vous-même.

Sa démarche était silencieuse, sa voix mélancolique, et ses longs doigts maigres vous faisaient penser à des griffes. Il eût pu être un pasteur, un officier des pompes funèbres ou tout autre employé que vous voudrez, sauf ce qu’il était en réalité. Je ne crois pas possible de trouver un contraste plus frappant que celui qui existait entre lui et l’inspecteur Seegrave, et certes, pour une famille affligée, son apparence était peu consolante !

« Suis-je chez lady Verinder, demanda-t-il ?

— Oui, monsieur.

— Je me nomme le sergent Cuff.

— Veuillez me suivre, monsieur. »

Pendant le trajet, je me crus obligé de lui apprendre ma position dans la famille afin de le mettre à l’aise, et pour qu’il pût s’entretenir avec moi de l’affaire qui allait l’occuper. Mais il n’en souffla pas mot. Il admira les jardins, et observa