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Les soirées qui suivaient nos excursions de l’après-midi variaient, plutôt qu’elles n’y mettaient obstacle, ces innocentes, ces inévitables familiarités. Mon goût bien naturel pour la musique qu’elle exécutait avec tant d’émotion, tant de féminine délicatesse, et le plaisir bien naturel qu’elle prenait à me rendre, par l’exercice de son talent, le plaisir que l’exercice du mien lui avait procuré, créaient entre nous un nouveau lien, de plus en plus étroit. Les incidents de la conversation, les habitudes simples et constantes qui faisaient une routine de notre voisinage à table ; les railleries enjouées de miss Halcombe, toujours prête à battre en brèche les inquiétudes du professeur et l’enthousiasme de sa belle écolière ; la pauvre mistress Vesey elle-même, et l’approbation endormie qu’elle nous accordait, à miss Fairlie et à moi, comme à deux jeunes gens d’une tranquillité exemplaire : — chacune de ces circonstances futiles, et combien d’autres encore ! contribuaient à nous envelopper ensemble, pour ainsi dire, dans la même atmosphère domestique, et à nous entraîner tous deux, par degrés, dans la même voie sans issue.

J’aurais dû me rappeler ma position et me tenir discrètement sur mes gardes. Je le fis : mais je ne le fis que trop tard. Toute la réserve, toute l’expérience qui m’avaient servi dans mes rapports avec d’autres femmes, et qui m’avaient garanti d’autres tentations, me firent défaut vis-à-vis d’elle. Depuis des années, mon métier m’avait mis dans cette étroite intimité avec des jeunes filles de tout âge et différemment belles. Je l’avais acceptée comme inhérente à ma profession ; je m’étais dressé à laisser, sous le vestibule de mes patrons, toutes mes sympathies juvéniles, aussi froidement que, sur le point de franchir l’escalier, j’y laissais mon parapluie. J’avais été formé à comprendre, et depuis longtemps, sans m’en étonner, sans m’en affliger, qu’on envisageait ma position hiérarchique comme préservant mes belles élèves de m’accorder tout autre sentiment que ceux du plus vulgaire intérêt, et que j’étais admis au milieu des femmes les plus séduisantes, à peu près au même titre que l’animal domestique