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autour de la porte. La curiosité populaire et cette soif d’horreurs qui est l’apanage des classes inférieures, trouvaient évidemment de quoi se satisfaire à l’intérieur du sinistre édifice.

J’aurais passé mon chemin, si mon oreille n’avait saisi au vol quelques mots échangés entre deux hommes et une femme qui causaient à la limite extérieure du groupe tumultueux. Ils sortaient à peine de la Morgue, et la description qu’ils faisaient du cadavre qu’ils venaient de voir, saisit vivement mon imagination. Cela devait être, car il s’agissait d’un homme « taillé dans des dimensions colossales, et portant à son bras gauche une marque bizarre ».

Dès que ces paroles m’arrivèrent, je fis halte, et pris ma place parmi les gens qui se pressaient pour entrer. Un vague et obscur pressentiment de la vérité m’avait traversé l’esprit au moment où j’entendais vibrer, à travers la porte ouverte, la voix de Pesca, et lorsque j’avais vu le visage de l’étranger qui, sur l’escalier de l’hôtel, passait en s’inclinant devant moi. Maintenant, la vérité elle-même m’était révélée ; — révélée par ces paroles que le hasard avait fait arrivera mes oreilles. Ainsi donc une autre vengeance que la mienne avait suivi cet homme prédestiné depuis sa stalle au théâtre jusqu’à la porte de sa maison, et depuis cette porte jusqu’au refuge qu’il était venu chercher à Paris. Une autre vengeance que la mienne lui avait demandé compte de ses méfaits, et lui en avait infligé le mortel châtiment. Le moment même où je l’avais désigné à Pesca, dans le parterre du théâtre, de manière à être entendu par cet étranger qui, placé à côté de nous, l’examinait comme nous, — ce moment avait scellé sa condamnation. Je me rappelai le combat qui se livrait dans mon cœur, alors que nous étions face à face, — la peine que j’avais eue à souffrir qu’il m’échappât, — et ce souvenir me fit frissonner.

Lentement, pouce par pouce, j’avançais, porté par la foule, me rapprochant peu à peu de cette cloison de verre qui, à la Morgue, sépare les vivants et les morts ; — et je finis, arrivé derrière le premier rang des spectateurs,