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de ses bagages dont s’était chargé un individu quelconque, venu à la station avec le comte Fosco. C’était précisément l’homme que j’avais devant moi.

— Vîtes-vous la dame ? lui demandai-je. Quelle physionomie avait-elle ?… Était-elle jeune ou âgée ?

— Ma foi, monsieur, dans tout ce tumulte de gens qui se pressaient et se poussaient, je ne pourrais dire très au juste ce qui en était. J’ai beau chercher ; ma mémoire ne me rappelle rien de cette dame… Non, rien… excepté son nom, cependant.

— Son nom ?… Vous vous rappelez son nom ?

— Oui, monsieur. Elle s’appelait lady Glyde.

— Et comment, ayant oublié son visage, êtes-vous arrivé à vous rappeler son nom ?…

L’homme se prit à sourire, et un peu embarrassé, à s’escrimer de son pied droit autour de sa jambe gauche.

— Ma foi, monsieur, répliqua-t-il, s’il faut tout vous dire, je venais dans ce temps-là de me marier ; et le nom de ma femme, avant qu’elle l’échangeât contre le mien, était précisément le même que celui de cette dame, — à savoir le nom de Glyde. Ce fut elle-même qui me le dit : — Votre nom est-il sur vos malles, madame ? lui avais-je demandé… — Oui, répondit-elle, mon nom est sur mes bagages… mon nom est : Lady Glyde… — Allons ! me dis-je à moi-même, je n’ai pas d’ordinaire une bien bonne tête pour retenir le nom des personnes ; mais quant à celui-ci, c’est une vieille connaissance, et je ne risque guère de l’oublier… Le temps où tout cela s’est passé, monsieur, je ne saurais trop le dire ; peut-être un an, peut-être six mois. Mais quant au gros gentleman et au nom de la dame, j’en jurerai, au besoin, tant que vous voudrez…

Il était parfaitement inutile qu’il se rappelât l’époque, la date étant positivement établie par le livre d’ordres de son patron. Je comprenais, dès lors, j’avais en main de quoi faire crouler d’un seul coup l’échafaudage entier de la conspiration. Sans hésiter une seconde, je pris à part le propriétaire de l’établissement, et lui fis connaître de