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la mangera au lieu d’en faire sortir le système de la gravitation. Le dîner de Néron fera de Néron le plus doux les mortels, avant même qu’il ait fini de le digérer ; et une tisane administrée le matin au grand Alexandre, le fera, dans l’après-midi, tourner honteusement le dos, à peine aura-t-il entrevu l’ennemi. Sur ma parole d’honneur la plus sacrée, il est fort heureux pour la société que les chimistes modernes, par une bonne chance incompréhensible, se trouvent les êtres les plus inoffensifs de la création. Pris en masse, ce sont de bons pères de famille qui se résignent à tenir boutique. L’élite se compose de philosophes que stupéfie d’admiration le bruit de leur propre voix professant un cours ; de visionnaires qui usent leur vie à lutter contre des impossibilités chimériques ; ou de mercenaires charlatans dont l’ambition s’élève malaisément au niveau des cors aux pieds qu’ils s’efforcent de détruire. C’est ainsi que la société leur échappe ; c’est ainsi que le pouvoir illimité de la chimie demeure au service des besoins les plus superficiels et les plus insignifiants.

Pourquoi cette tirade pompeuse ? Pourquoi cette éloquence écrasante ?

Parce que ma conduite a été représentée sous un faux jour ; parce qu’on s’est mépris sur les motifs qui me faisaient agir. On a prétendu que j’avais employé contre Anne Catherick mes vastes connaissances en chimie, et que, si je l’avais pu, je m’en serais servi contre la magnifique Marian elle-même. Insinuations odieuses toutes les deux ! J’étais intéressé de toute manière (comme on va le voir) à ce qu’Anne Catherick continuât de vivre. Toutes mes inquiétudes étaient concentrées sur les moyens à prendre pour tirer Marian des mains de l’imbécile patenté qui lui donnait ses soins, et qui vit mes conseils point en point ratifiés par le médecin venu de Londres, seulement en deux occasions, — et, dans toutes deux, fort innocemment pour l’individu soumis à mes expériences, — j’appelai à mon aide la science chimique. La première fois, après avoir suivi Marian à l’auberge de Blackwater (étudiant, de derrière le wagon qui me déro-