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taille gracieuse de miss Halcombe, à moitié en pleine lumière, à demi-perdue dans l’ombre, se pencher vers les lettres amoncelées sur ses genoux ; plus près de moi, cependant, le blond profil de la belle musicienne se découpait, de plus en plus vague, à mesure que baissait le jour, sur le fond graduellement obscurci des lambris intérieurs. Au dehors, sur la terrasse, les fleurs groupées, et leurs longues ramures repliées sur elles-mêmes, se balançaient si doucement, effleurées par la brise du soir, que nul bruit émané d’elles n’arrivait jusqu’à nous. Le ciel n’avait pas un nuage, et déjà, dans ses régions orientales, commençait à vibrer la mystérieuse aurore du clair de lune. Une sensation profonde de paix et d’isolement, calmant toute pensée et tout mouvement du cœur, plongeait l’être entier dans un extatique ravissement, qui l’emportait loin de la terre ; et le repos embaumé que le décroissement de la lumière semblait, de minute en minute, rendre plus profond, sembla planer sur nous, plus caressant encore, lorsque jaillirent du piano les tendres et célestes mélodies de Mozart. Je ne t’oublierai jamais, soirée charmante, où je vis, où j’entendis tout cela…

Nous demeurâmes, sans mot dire, chacun à la place qu’il avait choisie, — mistress Vesey sommeillant toujours, miss Fairlie jouant toujours, miss Halcombe lisant toujours ; — jusqu’à ce que le jour vînt à nous manquer. La lune furtive avait alors fait le tour de la terrasse, et ses lueurs mystérieuses éclairaient déjà obliquement le bas du salon. Succédant à l’obscurité du crépuscule, elles nous semblaient si belles que, d’un commun accord, nous renvoyâmes les lampes apportées par un serviteur trop exact ; et la vaste pièce demeura ainsi dans la pénombre où la laissaient les deux bougies allumées au-dessus du clavier.

Pendant une heure encore, la musique continua. Puis, la beauté du tableau qu’offrait la terrasse, vue au clair de lune, parut tenter miss Fairlie, que je m’empressai d’y accompagner. Miss Halcombe, qui avait changé de place pour continuer sa lecture quand les bougies du piano avaient été allumées, demeura auprès d’elles, sur une